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marane la passionnée

— Je croyais qu’une demoiselle de château n’était jamais malheureuse. Le pire des malheurs me semblait la pauvreté. Quand on mange tous les jours ce que l’on veut, que l’on a des domestiques pour vous servir, de beaux tapis pour n’avoir jamais froid aux pieds, je pensais que c’était là le bonheur. Mais vous avez aussi des soucis.

— Et de durs ! m’écriai-je. Pense dans quel état j’ai retrouvé mon frère !

Jean-Marie eut une contenance gênée.

Je dis, presque bas :

— L’as-tu vu, toi, quand il avait bu ?

Bien qu’ayant donné le titre d’ami au jeune fermier, j’étais un peu honteuse de parler de la tare de mon frère. Il me semblait que je commettais un sacrilège.

Jean-Marie me répondit :

— Bien sûr, que je l’ai vu ! Et ce n’était guère beau. M. Chanteux, lui, riait bien.

Je frissonnai d’indignation. J’aurais voulu battre Jean-Marie. Mon pauvre frère m’apparut soudain comme un martyr ! Je laissai là paille et tressage, et, me dressant brusquement, je criai :

— Je te défends de parler ainsi d’Évariste !

— Ne suis-je pas votre ami ? Ce n’est pas pour le critiquer, c’est parce que cela me peinait.

Tout de suite, je regrettai mon mouvement de colère. Jean-Marie n’avait été que maladroit. J’avais cependant provoqué sa réponse, mais il ignorait l’art de taire certaines choses.

Ce fut une secousse pour moi. Il me semblait qu’une offense personnelle m’était faite.

J’aurais voulu expliquer ces nuances à mon compagnon, mais je craignais de ne pas me faire comprendre.

J’aurais eu besoin de réconfort, de tendresse à ce moment-là, mais j’étais une jeune fille, et il m’était impossible d’appuyer ma tête sur cette épaule de garçon.

Et, machinalement, à travers ma honte et ma détresse, je regardais son gilet un peu sale à la place où je me serais tenue. Je vis aussi ses mains rugueuses et souillées par le travail de la terre.

Cependant, je l’avais choisi, n’ayant personne d’autre qui