Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
marane la passionnée

Évariste était sorti de sa torpeur et il réfléchissait.

— Tu as du cran, me dit-il, et de l’idée. Que dit maman ?

— Elle est au désespoir.

— Pauvre maman ! Elle est comme moi, elle a peur.

— Pars pour reprendre tes études.

— Tu as raison, il faut que je m’arrache à cette hypnose ! Mais que dira Chanteux ?

— Ne t’occupe pas de ce qu’il pourra penser. Je me charge de le remettre à sa place.

— Tu as toutes les audaces ! Tu as bien de la chance ! Je t’envie.

Mon frère déjeuna avec nous. Maman ne pouvait croire qu’il voulût repartir. Elle me regardait avec admiration, m’attribuant ce succès.

J’étais tenace. Je gardai Évariste jusqu’à l’heure de son départ et, quand ma mère donna des ordres pour qu’une voiture fût à sa disposition, je surveillai les alentours de la maison.

Chanteux vint alors que mon frère était déjà loin. J’étais dans un salon voisin de celui où il fut reçu.

— Je viens d’apprendre, Madame, que M. Évariste est reparti.

— Oui, Monsieur Chanteux.

— Je croyais que M. le comte voulait, dorénavant, gérer ses propriétés ?

— Il a changé d’avis ; il regrette ses études. Il y eut un silence, puis le régisseur déclara :

— Je suis désolé que M. le comte ne s’occupe plus de ses exploitations, il serait devenu un maître expérimenté.

Je sortis de l’ombre et je m’écriai :

— Comment pouvez-vous avancer des choses que vous ne pensez pas ! Mon frère serait devenu une loque entre vos mains parce que vous faisiez tout pour anéantir ses facultés.

Le régisseur ne s’attendait pas à me voir. La soudaineté de mon apparition l’interloqua, et il resta muet quelques secondes. Quand il entendit l’accusation que je lui jetais à la face, il recula, bien qu’il s’efforçât de garder un semblant de sourire.

— Oh ! Mademoiselle, protesta-t-il, comme je suis désolé de votre interprétation. Si vous saviez quels efforts j’ai