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marane la passionnée

— Je le sais, moi.

— Ah !

— Oui. tu bois et tu t’enivres.

Évariste demeura silencieux lui moment, puis il me répondit :

— C’est possible.

— Comment ! m’écriai-je avec éclat, c’est tout ce que tu trouves pour t’excuser ?

— J’avoue, Marane, j’avoue. Je suis même humilié d’avouer. Cela ne m’amuse nullement de boire. J’ignore, d’ailleurs, comment je m’y prends pour en arriver là. Je touche à peine mon verre et je suis étourdi immédiatement. Oh ! que je suis malade.

Je l’écoutais, non sans stupeur.

— Évariste, tu es un malheureux garçon.

— Oh ! oui.

Mon frère avait les larmes aux yeux.

— Que s’est-il donc passé ? dis-le-moi, mon petit frère.

— Il ne se passe rien. J’accompagne Chanteux. Nous dînons dans une ferme pour causer avec le fermier quand il a terminé sa journée. Nous prenons un apéritif que Chanteux apporte et tout commence à tourner. Puis, je bois en mangeant et je me sens ivre. C’est tout ce qui se passe.

— Tu bois peut-être plus que tu ne le crois ?

— Peut-être. Chanteux est fort bon et obligeant pour moi. Il me ramène, il me donne des cachets pour me remettre et il m’enlève mon verre quand je veux éteindre la soif qui me brûle. Cette nuit, comme d’autres nuits, je m’endors où je me trouve, et alors, Chanteux me transporte jusqu’ici.

J’étais atterrée par ce que j’entendais, et par ce que je ne comprenais pas.

Ce Chanteux prenait trop de place dans notre existence.

Évariste reprit :

— Pourquoi donc es-tu revenue ? La cousine de Jilique t’a renvoyée ?

— Nullement. Je ne voulais plus rester dans une maison où vivait une hypocrite.

Évariste me contempla, puis il rit.

— Ma pauvre petite, il y a des hypocrites partout ! Les fuir, c’est fuir le monde. Quand es-tu rentrée ?