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marane la passionnée

Le dormeur n’esquissa pas un geste. De sa gorge sortait un ronflement.

— Évariste ! criai-je plus fort.

Je le secouai, non sans rudesse.

— Quoi, quoi, bégaya-t-il, laissez-moi, Chanteux, j’ai assez bu. Je tombe de sommeil.

Je me reculai.

— Chanteux ? murmurai-je ; c’est avec Chanteux qu’il boit ?

Je dis à ma mère :

— Sortons.

Dès que nous fûmes rentrées dans la chambre de maman, je m’écriai :

— Alors, Chanteux est devenu le compagnon d’Évariste, et c’est lui qui l’engage à s’enivrer ?

Ma mère baissa la tête et elle répondit d’une voix à peine intelligible.

— Je n’y comprends rien. Jamais je n’ai vu Chanteux ivre.

Je réfléchissais profondément. Je ne fis pas part de mes réflexions. Je murmurai :

— C’est terrible.

Je m’assis près de maman, sur un pouf un peu bas et je lui demandai :

— Avoue, maman, que c’est Chanteux qui t’a conseillé de m’éloigner d’ici durant quelque temps ?

Ma mère hésita, puis elle finit par me répondre :

— Oui, c’est lui.

Je le savais, puisque j’avais écouté à la porte, mais je voulais que maman me le dise.

— Ah ! et sais-tu, maman, comment est venu à Évariste l’idée de rester au manoir alors qu’il voulait absolument entrer à l’École Centrale ?

— Je… je ne sais pas. Il est allé plusieurs fois avec Chanteux visiter les différentes exploitations.

— C’était fort sage, interrompis-je.

— Il me racontait ce qu’il voyait, les améliorations, les progrès, le rendement. J’en étais même surprise, parce que je trouvais que les revenus n’étaient pas en rapport avec ce qu’il me précisait.