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marane la passionnée

pour Jacques, et les promesses que tu fais à Paul de ne danser qu’avec lui, alors que tu ne lui accordes aucune danse. Le pauvre garçon en était si malade qu’il a raté Saint-Cyr.[illisible]

J’écoutais, pétrifiée, ce réquisitoire. Emma taquinait souvent sa sœur, mais je riais généralement de ses boutades. Ce soir-là, elles prenaient un singulier relief. Mon esprit s’ouvrait.

Je faisais connaissance avec une autre Jeanne, jouant avec les cœurs, une Jeanne qui ne prenait nul souci de la souffrance qu’elle semait.

Je m’étais juré que je ne lui accorderais pas un regard, mais, maintenant, je la bravais.

Mon sourire était ironique, mon attitude glaciale envers elle. D’abord décontenancée par ma nouvelle manière d’être, elle reprenait de l’assurance et essayait encore son pouvoir sur mon naturel naïf. Elle me souriait, elle me parlait comme si elle avait oublié le chagrin dont elle m’avait abreuvée.

Je ne lui répondais pas.

Après le dîner, elle se rapprocha de moi et me dit :

— Comme le temps m’a semblé long, sans toi, à cette répétition. Je croyais que l’on ne finirait jamais.

— Vous étiez donc fatiguée de faire des œillades ?

— Oh ! Marane, tu ne me tutoies plus ?

— Pensez à votre conduite avec moi.

— J’espère que tu ne m’en veux plus ?

— Vous m’avez offensée dans mon affection et dans ma fierté, je me jugerais indigne de vous considérer dorénavant comme une amie.

— Tu es une sauvage, petite Marane.

Jeanne, en prononçant ces mots, me coulait un regard irrésistible, ou qu’elle croyait tel, comme elle en avait sans doute l’habitude avec les jeunes gens qu’elle voulait attacher à son char, avec les dames à qui elle désirait plaire.

Mais je ne fus pas sensible à ce manège de coquette. Je répondis :

— Oui, sauvage ; aussi est-ce pour cela que je vais repartir. Les manières civilisées, les hypocrisies ne sont pas du tout mon genre.

— Tu vas repartir ?