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marane la passionnée

Je voulais partir. Je ne voulais plus supporter l’atmosphère de cette maison, où je vivais depuis un mois. Me revoir en face de Jeanne me causait une aversion insurmontable.

J’essayais de reprendre mon courage.

Toute la douceur de vivre que j’avais savourée comme une enfant, retombait sur mon cœur en une douleur de femme.

Il m’avait semblé que j’étais devenue moins brusque depuis que je m’étais efforcée de plaire à mon amie, mais devant cette déception je reprenais mon accent âpre et métallique, ce qui me donnait l’air dur et arrogant.

Ce fut dans ces dispositions que je frappai à la porte de Mme de Jilique.

Ah ! que je me sentais méprisante ! J’aurais cravaché la terre entière.

Avant que le mot « Entrez » fût proféré, je poussai la porte.

Ma cousine me regarda. Elle remarqua sans doute mon Visage bouleversé, car elle me dit :

— Qu’avez-vous donc à m’apprendre ?

Tout d’une haleine j’épanchai mon cœur. Je ne connaissais pas les détours. Je souffrais et je me racontais, oubliant que je parlais à la mère de celle que j’accusais.

Mme de Jilique m’écoutait d’un air amusé. Quand j’eus fini, elle me dit :

— Mais… Jeanne n’a pas pensé que vous attacheriez autant d’importance à une amitié. Elle est gaie et elle prend la vie en surface.

— J’étais venue dans l’espoir d’avoir une amie. Je suis tombée de bien haut.

— Ce sont des enfantillages, ma petite Marane. Allez vous habiller pour le dîner, et ne pensez plus à ce gros chagrin de bébé.

Tant de condescendance sans compassion me révolta. Je m’écriai :

— Mais, Madame, je ne paraîtrai pas à votre dîner. Je suis blessée au cœur. Je ne veux plus revoir Jeanne.

J’éclatai en sanglots convulsifs.

— Vos nerfs vous entraînent, ma petite fille ; il faut se dominer quand on est quelqu’un.

— La souffrance ne compte donc pas pour vous !