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marane la passionnée

— J’ai vu Jeanne qui sortait de cette chambre. Elle avait son air cruel. C’est elle qui t’a peinée ? Tu souffres, n’est-ce pas ? Laisse-moi te dire que tu t’es méprise sur son caractère. Elle n’a pas l’âme que tu souhaitais. Ta si belle et chère lettre n’a pas été comprise par elle. D’ailleurs elle ne pourra jamais comprendre un sentiment profond ; elle est trop superficielle.

Un tremblement me secouait.

— Calme-toi, c’est ta première déception, et la vie en est hérissée. Tu auras une compensation. Jeanne est égoïste et très coquette. Ce n’est peut-être pas beau de parler ainsi de ma sœur, mais je te trouve si loyale que je ne veux pas que tu souffres davantage à cause d’elle. Dans quelques jours, elle te demandera pardon ; tu seras de nouveau sous son ascendant, et elle se moquera de toi. Elle fait ce jeu avec les jeunes gens, et l’un d’eux a failli se tuer pour elle. Heureusement ses sentiments religieux l’ont remis dans la bonne voie.

J’écoutais terrifiée. Une humiliation me venait d’avoir été jouée à ce point, en même temps qu’une désespérance sans bornes.

Je ne pouvais parler. Les mots tendres qui étaient sortis du fond de mon cœur dansaient devant mes yeux en éclairs fulgurants.

Je pensais à ce pauvre jeune homme, attiré comme moi, bafoué comme moi. Je balbutiai :

— Je suis déchirée. Je ne puis guère te remercier pour une communication aussi douloureuse, mais je te suis reconnaissante de m’avoir éclairée. J’avais tant de confiance et j’étais si sincère.

— Ne pleure plus. Ne pense plus à Jeanne. Il faut beaucoup de temps pour trouver un esprit sûr. Tout le monde n’a pas ta loyauté, claire comme un diamant. Tu ne connais pas la ruse, parce que tu as vécu parmi la nature, les animaux et les tempêtes.

Je serrais mes tempes entre mes mains.

Clotilde me laissa.

Je rejetai Jeanne de mon cœur.

J’étais de décision rapide. Je me dirigeai vers la chambre de Mme de Jilique. Je savais qu’elle s’y trouvait.