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marane la passionnée

assurer à tous ces hôtes gracieux que j’étais enchantée de ieurs réceptions et qu’ils me faisaient grand honneur en m’y conviant.

Des jeunes gens me persuadèrent que j’étais jolie, et d’autres voulaient me convaincre que je ressemblais à une sirène.

Je leur répondais qu’ils ne savaient pas ce qu’ils disaient, parce qu’ils n’avaient jamais vu de sirènes.

Ils riaient en prétendant que j’étais étrange.

Nos sorties se multipliaient ; je n’avais plus de loisirs pour causer avec Jeanne. Nous nous couchions tard, nous étions fatiguées, et les doux bavardages ne pouvaient plus avoir lieu.

Ils me manquaient terriblement.

Un soir, j’eus l’idée d’écrire, afin de déverser ma tendresse dans le cœur de mon amie.

Ma plume courut sur le papier. Que disais-je ? Qu’elle m’était chère et que la plus belle réception ne valait pas une heure de confidences entre deux amies s’aimant bien.

Ma lettre était imprégnée d’une tendresse naïve. J’étais toute ferveur.

Je posai ma lettre sous l’oreiller de Jeanne et j’attendis sa réponse, non sans impatience.

Deux jours passèrent, et, à ma grande surprise, je n’eus pas un mot de Jeanne me faisant comprendre qu’elle avait lu mes lignes.

En revanche, je remarquai des regards furtifs entre la mère et les filles, des sourires moqueurs, des paroles ironiques.

Je perçus des allusions sur l’amitié ; je crus reconnaître, dans la bouche d’Emma, des phrases déjà entendues je ne savais plus où.

Puis, soudain, la vérité surgit devant mon esprit ; des passages de ma tendre lettre faisaient les frais de cette gaîté moqueuse.

L’horreur, l’indignation, m’abattirent durant un moment. Tout mon cher trésor de tendresse était foulé aux pieds. Ce que j’avais écrit avec dévotion devenait un objet de risée. On dénaturait mes sentiments.