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marane la passionnée

J’exaltais la loyauté de Jeanne, ses prévenances exquises et sa bonté.

Je vivais des jours enchantés. Le sommeil me parut inutile parce qu’il me privait de mon amie. Tout le temps passé loin d’elle me paraissait perdu.

— Quand je ne t’ai pas vue durant une heure, lui disais-je, mon cœur se meurt… Il me semble que je marche dans l’obscurité… Par moments, je crois que je t’aime trop, et à d’autres je me persuade que je ne pourrai jamais t’aimer assez… Puis il m’arrive aussi de m’imaginer que tu ne m’aimes pas…

Jeanne alors s’écriait :

— Tu as tort ! Comment ne t’aimerais-je pas, alors que je suis si touchée par ta tendresse ?

Ces paroles me ravissaient :

— Je voudrais poser ma tête sur ton épaule et ne plus bouger durant des heures. Pourquoi deux amies ne peuvent-elles habiter ensemble une île déserte où il n’y aurait ni mondanités, ni devoirs, ni obligations… L’amitié me suffit…

— Ô Marane, me répondait Jeanne, tu es une passionnée, mais tes confidences me plaisent…

Cependant, Mme de Jilique ne perdait pas de vue que j’étais chez elle pour me distraire. Je fus présentée à toutes les relations de mes cousines, et il s’ensuivit une série de thés dansants dont je me serais bien abstenue.

J’appris à sourire dans le monde, à déguiser ma pensée, à danser en ayant l’air ravie.

Je dus accepter des danseurs qui m’étaient odieux, et je dus causer avec eux comme si je les trouvais aimables.

Je n’aspirais qu’à une chose : leur dire leurs vérités et l’impression qu’ils me produisaient.

J’aurais voulu bondir avec mes chiens par-dessus les rochers, et il me fallait parader en robe de cérémonie.

Si Jeanne n’eût pas été là, cent fois pour une j’aurais négligé ces succès faciles pour retourner dans ma lande, au milieu des hurlements du vent, qui constituaient pour moi le plus bel orchestre.

Mais il fallait satisfaire aux lois mondaines ; il fallait