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marane la passionnée

— Qu’avez-vous à me reprocher ? continua-t-il.

— Justement, je ne le sais pas, répondis-je loyalement. Je voudrais vous prendre en faute et je n’y parviens pas.

Il sourit.

— Vous êtes une enfant à l’imagination emportée. Je gère l’exploitation de mon mieux, et il n’y a rien à relever contre moi.

Je ne répliquai pas. Il poursuivit :

— Vous êtes matinale, Mademoiselle. D’ailleurs, le spectacle est beau et il valait un dérangement.

J’aurais voulu lui poser la question qui me hantait :

— Pourquoi tenez-vous tant à me faire partir de la maison ?

Il se pouvait qu’il n’eût aucune mauvaise intention. Cependant, je n’ajoutai rien et je lui tournai le dos avec une impolitesse marquée, pour prendre le chemin du retour.

Prompt, il se plaça devant moi et me barra la route sans affectation. Puis, il me dit :

— Soyez polie, Mademoiselle. Quand on est la fille du comte de Caye, noblesse exige. Être poli avec un inférieur, c’est un devoir. On ne sait jamais si ces misérables inférieurs ne seront pas des supérieurs quelque jour.

Ces mots me causèrent un léger frisson. Mon regard aigu plongea dans les yeux de mon interlocuteur, mais il détourna la tête.

Malgré cette leçon, et justement pour cette leçon, je ne fus pas plus aimable. Je sifflai mes chiens et je m’en allai, laissant Chanteux, je l’espérais, flagellé par cette morgue, exaspéré par ce dédain.

J’étais furieuse. Ma promenade était gâtée.

J’arrivai au manoir, alors que maman et Évariste prenaient leur déjeuner.

— D’où viens-tu donc ? s’écria ma mère qui parut soulagée par mon entrée.

— Je me suis promenée.

Je jetai mon béret sur un meuble.

— Ah ! j’ai faim. L’air du matin ouvre l’appétit. Tu pars cet après-midi, Évariste ?

— Oui, à quinze heures.