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marane la passionnée

Quand cet accident survint, je n’eus pas le courage de Marane, je trouvais coupable de me réjouir de sa disparition. J’avais vu ma fille tellement scandalisée et exaspérée par la conduite de Chanteux, que j’avais eu une peur mortelle de ses représailles.

Je plaignais ma pauvre maman du fond de mon cœur, mais je ne voulus pas que cet entretien restât tragique. Cependant, je dis encore :

— Maintenant, je me sens plus forte. J’irai trouver M. le curé, qui nous conseillera sur la conduite à tenir. Le film sera à la disposition de la Justice. L’essentiel est que Lucas ne soit pas inquiété.

— Puisque les preuves sont là… intervint Renaud.

Cette assurance me satisfit.

Maintenant, je désirais du bonheur, et, du moment que j’étais en face de celui que j’aimais, il fallait en profiter.

J’ajoutai donc :

— Tout est fini de ces tristesses. Il s’agit de vivre en joie. Nous sommes en sécurité maintenant, le doyen de nos fermiers est extraordinaire d’entendement.

Renaud me contemplait et je crus distinguer de l’admiration dans son regard. Je lui souris.

À ce moment, Jeannic vint demander Mme la comtesse pour une affaire urgente. J’eus un mouvement de satisfaction. Pour l’accord de deux cœurs, il vaut mieux qu’il n’y ait pas de tiers. C’était, du moins, ma théorie.

Maman sortit en s’excusant. Elle avait un air légèrement ennuyé, mais je ne m’en souciai pas.

Je dis tout de suite à M. de Nadière :

— Voulez-vous visiter les jardins et le parc ?

Il se leva avec un empressement que je jugeai de bon augure.

Je devins vaine subitement et je pensai qu’un homme jeune pouvait être heureux de se promener avec une jeune fille blonde aux yeux verts. La coquetterie s’implantait chez moi.

Je franchis le seuil la première. Derrière moi venait Renaud, et je sentais son regard sur ma chevelure soyeuse.

J’attendis qu’il fût à mon côté et je lui souris encore. Je sentais que je souriais gracieusement, avec la nuance qu’il fallait. Le sourire demande du tact et je ne voulais pas commettre d’erreur. Puis, je contemplai la nature devant nous. Nous étions en haut du perron. Notre beau jardin se dessinait devant nos yeux. Les fleurs ruisselaient de couleurs diverses sous les rayons solaires.