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marane la passionnée

— Ses extravagances proviennent de sa solitude, répondit Évariste. Elle est terriblement seule, ici.

— Seule ! m’exclamai-je, en songeant tout à coup que rien ne vaudrait pour moi la mer et la lande. J’avais un remords de vouloir les quitter pour une amitié incertaine.

Mon frère me contempla non sans surprise :

— Ton esprit est-il donc aussi changeant ?… me reprocha-t-il.

— Pour le moment, la nature me suffit, ripostai-je légèrement. Une amie, ce sera pour plus tard.

Je m’écriai pour changer de sujet :

— Que dimanche sera amusant ! Après la messe, nous reverrons tous nos compagnons d’enfance.

Nous allions à la messe au village voisin.

— Ils sont toujours au complet ? demanda Évariste.

— Mais oui ; les garçons empoignent la charrue et les filles raccommodent les hardes.

— Et toi, tu t’occupes aussi de travaux féminins ?

— Hélas ! gémit maman.

— Tu touches à une corde sensible, raillai-je. Maman est désespérée que je ne sache ni coudre, ni tricoter, ni broder. Je ne fais pas de tapisserie et je ne joue pas du piano.

Je me levai brusquement, si brusquement que mes nattes fouettèrent mon verre qui tomba et se brisa.

— Oh ! s’indigna ma mère, on ne se retourne pas avec une telle impétuosité, modère tes gestes !

— Est-ce ma faute si mes cheveux sont trop longs !

— Pourquoi pas un chignon à seize ans ? demanda Évariste.

— Pourquoi ? Parce qu’il s’écroule quand je cours, et que Rasco et Sidra n’auraient plus rien à porter.

— C’est vrai, dit Évariste ; tu es attachée solidement à tes gardiens. Mais cela ne devrait pas t’empêcher de coudre comme une femme.

Je disparus de la salle à manger, et je revins quelques minutes après, tenant dans mes mains une petite robe d’enfant.

— Voici un échantillon de mon travail, annonçai-je.

Je lançai l’objet à Évariste.