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marane la passionnée

— Jusque-là, j’avais vécu solitaire… J’ignorais ce qu’était l’union de deux cœurs et de deux esprits égaux. J’ai trouvé un ami…

Je respirai fortement et je dis :

— Alors tu es heureux… Moi, je n’ai pas d’amie…

Je soupirai avec mélancolie. Une soif imprévue m’envahissait.

— Je te plains, poursuivit Évariste, comme s’il lisait dans mes pensées… Tu ne peux te figurer quelle sécurité on éprouve de ne plus se sentir seul… quelle joie vous éclaire de pouvoir s’épancher, quel soutien pour le cœur !…

— Je saisis ton bonheur, répliquai-je d’une voix sourde.

Je restai un moment sans parler, puis je criai, prise de jalousie :

— Je veux une amie !

Sans avertir mon frère, je redescendis la roche en courant en avant avec mes chiens…

Puis je revins vers Évariste :

— J’ignorais ce qui me manquait ! C’était une amie… Voilà pourquoi mon cœur n’était pas satisfait… J’aime maman, je t’aime, mais ce sont des affections naturelles que je n’ai pas cherchées. Il faut un ami que l’on ait choisi et à qui l’on puisse tout dire sans qu’il soit scandalisé… Ah ! que mon amie entendra de choses ! Les jours ne seront jamais assez longs.

— Ne t’exalte pas ainsi, Marane ; tu es trop enthousiaste.

— Pas assez, veux-tu dire ! Si je l’étais, je serais partie depuis longtemps à la recherche de cette amie si nécessaire. Mais on ne sort pas d’ici. Chanteux n’a jamais d’argent à nous donner. Cependant…

Je m’arrêtai net. Je venais de me remémorer que maman me proposait un séjour chez Mme de Jilique. Mais n’étant pas encore décidée, j’ajournai l’aveu de ce projet.

Nous rentrâmes, Évariste me vantant le beau et franc caractère de son ami.

Notre mère nous attendait avec impatience.

Elle remarqua mon exaltation et l’air absorbé de son fils.

Elle dit :

— Cette petite extravagante t’a bourré la tête de ses excentricités.