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marane la passionnée

devant une énigme. Je suis rassurée. Tu peux retarder ton récit, je sais maintenant que tu n’as pu mal agir. Tes yeux ne se sont pas détournés et ils sont limpides.

Les paroles de ma mère étaient un baume calmant sur ma peine, mais elles n’effaçaient pas complètement mon irritation de me savoir mal jugée par M. Descré.

— Maman, demandai-je à brûle-pourpoint, suis-je assez belle pour me faire aimer ?

Ma mère hésita, puis elle dit lentement :

— Tu as des yeux admirables, ton teint est frais, ta bouche est d’un dessin agréable ; seul ton nez serait un peu large, mais les narines sont bien modelées.

Je restai soucieuse, puis je questionnai encore :

— Selon toi, si M. Descré me voyait soudain, serait-il touché par ma beauté ?

— Chacun possède son idéal, et j’ignore si tu plairais à M. Descré. Je ne le souhaite pas d’ailleurs, parce que je ne sais d’où vient ce monsieur, et je veux pour toi un mariage de toute confiance.

— Ce mariage serait bon et beau, puisque j’aime, mais, avec ces circonstances, il devient impossible. Je suis ennuyée de me savoir belle et capable d’inspirer un sentiment de tendresse. Il me serait désagréable qu’un cœur pût souffrir par moi. Je ne voudrais pas provoquer une affection à laquelle je ne pourrais répondre.

— Tu es une malheureuse enfant, me dit ma mère, tu as toujours des embûches devant toi.

Je m’étais ressaisie. Mes larmes ne coulaient plus. Il fallait lutter et je me sentais de taille à entrer en lice.

Cependant, je résolus de garder encore mon incognito devant M. Descré. C’eût été, selon moi, une victoire trop facile. Je n’aurais qu’à me montrer avec la beauté dont me gratifiait ma mère pour qu’il risquât le coup de foudre dont j’avais été atteinte.

Non, je voulais être aimée pour les qualités qu’il avait appréciées chez Maria Lespir.

Le courage me revenait. Dans mon excitation, je me retenais pour ne pas courir tout de suite chez les Descré. Mais il était un peu tard et il n’était pas possible de se présenter chez eux à l’heure du repas.