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marane la passionnée

Ce fut une heureuse soirée. Je croyais qu’Évariste nous raconterait une foule de choses, mais ce fut moi qui parlai tout le temps.

Le lendemain, je l’entraînai dans des courses, de-ci, de-là. Il se laissait conduire, un peu absorbé encore par les études qu’il venait d’abandonner.

Ce n’était plus un sportif, mais un scientifique qui avait trouvé sa voie et qui ne se souciait plus des vagabondages d’antan.

— Comme tu es mou ! m’écriais-je à tout moment, donne-moi la main pour atteindre cette roche. Devant la mer, Évariste resta silencieux, les bras croisés, tandis que moi, ainsi qu’une prêtresse, j’élevai les mains et je vociférai, pour dominer le bruit des flots :

— J’aime la mer, j’aime la forêt, j’aime le soleil déclinant sur l’eau. Et je voudrais être le vent qui se lève doucement le soir pour parcourir le monde.

— Marane… Marane… murmura mon frère, n’es-tu pas un peu folle ?

— J’ose à peine l’avouer, mais j’aime aussi les tempêtes, Évariste… Cette mer en furie, ces vagues qui s’avancent et s’écroulent avec leur bruit formidable, je m’identifie à elles… Je suis une déesse terrible qui veut tout écraser, puis, soudain, je redeviens comme un petit enfant doux et calme.

Mon frère m’examinait avec attention.

— Je te surprends, mais je ne puis confier ces choses qu’à toi, car tu es jeune comme moi. Qui me comprendrait ? Je fais peur à maman… Toutes les divagations de mon âme, je les perds dans mes courses. Par ici, la mer austère et tendre m’accueille. Dans la lande, par là, je suis dans le désert immense où j’imagine les caravanes… Et, dans les champs cultivés, j’apprends à connaître la terre et ses révélations. Et toi, qu’as-tu appris ?

Évariste resta songeur un moment, puis il me répondit gravement :

— L’amitié…

— L’amitié ? répétai-je, sans pouvoir ajouter un mot.

Ce fut à mon tour de le regarder. Je murmurai :

— Que ressens-tu ?

Il me répondit comme s’il se parlait à lui-même :