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marane la passionnée

Je restai joyeuse :

— Nous ne sommes que fin avril. J’ai donc encore un grand mois pour achever la conquête de M. Descré et de l’amener à me dire : « Voulez-vous être ma femme ? »

— Je serai contente de t’arracher enfin à tes idées ridicules. Sois moins sûre de toi ! Puis, c’est déplorable pour une jeune fille de vivre ainsi dans l’inaction. Tu n’as plus l’âge de vagabonder dans les chemins. Tu devrais te rendre utile.

— À quoi encore, mon Dieu ?

Ma mère resta silencieuse. Elle savait que je cousais maintenant, que je brodais et que je tricotais, que je portais la plupart de ses ordres dans les fermes. Je lisais, et non seulement des romans, mais aussi nombre de livres instructifs. De plus, j’allais chez les malades et je ne reculais pas devant les soins à donner. Certainement, depuis le jour de mes seize ans, j’avais accompli quelques progrès.

Je repris :

— Je ne sais ce que je pourrais faire de plus ! Je fournis toutes les layettes du pays.

J’exagérais, mais cela n’offensait personne.

— Tu restes trop indépendante, répartit ma mère.

— Cela n’est pas nuisible, répondis-je ; puis, cela ne m’enlève aucune qualité. Je sais que j’ai du cœur, de l’esprit et un certain humour.

— Tu es bien renseignée ! Qui a pu te laisser croire ces choses ?

M. Descré.

Maman était suffoquée.

— Ce monsieur n’est pas un homme bien élevé ! On ne se permet pas de faire des compliments à une jeune fille.

— Tout dépend des circonstances, dis-je sentencieusement. Quand on est dans un salon, où le marivaudage est de règle, j’aurais eu des doutes sur la sincérité des éloges d’un homme ; mais, quand on est en face de la mer, sous un ciel pur, on croit ce qu’un être ému vous raconte.

— Dois-je comprendre que tu t’es promenée seule avec cet inconnu ? s’écria maman, aussi scandalisée que dédaigneuse.

— Cet inconnu sera ton gendre ; donc, ne le dédaigne pas !