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marane la passionnée

perdu l’épouvante de l’amour, ressentie dans l’après-midi. J’étais de nouveau joyeuse, portée par ce souffle qui m’arrivait d’un monde inconnu.

Un mot de maman strida à mes oreilles. Je ne sus pas lequel de ses mots avait heurté mon tympan. C’était sans doute une dissonance qui jurait avec ma propre pensée. Toujours est-il que ce son me réveilla.

Je me levai de mon siège et je prononçai d’un ton lassé :

— Pourquoi tant de phrases, chère maman. Je ne suis pas allée aux Crares cet après-midi, mais au rocher de la Mouette. Tu peux t’en assurer auprès du vieux pêcheur Bronec qui a fait une partie du chemin avec moi.


XII


Bien que tout, autour de moi, changeât d’aspect et que les contingences n’arrivassent plus à mon esprit que par des voies indirectes, je songeais cependant aux représentations que ma mère m’avait faites.

Je ne voulais pas que ma réputation eût à souffrir, et je cherchai un moyen de revoir M. Descré sans m’afficher.

J’étais tranquille à propos de ma vêture. Je savais que je ne ressemblais nullement à une jeune châtelaine, mais à une paysanne. Je ne désirais pas une minute me rendre plus élégante.

Je ne cherchais pas à plaire, et il m’était indifférent de paraître plus ou moins jolie. Pour le moment, je ne poursuivais qu’un but : cacher ma personnalité, afin que ma mère ne pût me reprocher mon manque de prudence. Je ne voulais pas me priver de la joie de revoir M. Descré, mais je tenais à rester anonyme.

Je me souvins tout à coup que mon père portait des lunettes jaunes pour garantir ses yeux du soleil et je jugeai qu’elles feraient mon affaire. Je fouillai dans le tiroir où je les avais vues et je m’en emparai. Je ne crus pas devoir avouer ces préparatifs à ma mère, de crainte de remontrances. Je la trouvais suffisamment excitée par mes confidences inattendues et je ne voulais pas accentuer son état.

J’assujettis mes lunettes vers quatorze heures, je me