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marane la passionnée

Je retrouvai mon camarade qui s’occupait à raccommoder un harnais.

— Bien le bonjour, Mamzelle.

Sa figure intelligente et fine me plaisait.

— Bonjour, Jean-Marie… Que fais-tu ? du neuf ?

— Mais oui, en rafistolant…

J’annonçai joyeusement :

— Évariste revient ce soir ! Nous ferons de bonnes parties de pêche… Tu y es allé, ces jours derniers ?

— Non, je vous attendais, puis, en semaine, je n’ai pas trop de temps… Mais, dimanche, si cela vous agrée…

— C’est entendu. Évariste sera ravi. J’effleurai vingt sujets, puis je repartis.

Je dansais en marchant, l’esprit clair. Mon visage devait être gai à voir, parce qu’il me semblait que mes idées étaient comme des étincelles qui l’illuminaient. J’étais tout entière à mes pensées, enchantée par mon imagination. Je voyais des pays, je créais des aventures. Je m’évadais de la fantaisie déjà grande de mon cercle habituel, pour planer plus haut, plus loin, hors du chaos de mes multiples sensations.

Je retrouvai maman :

— D’où viens-tu, Marane ?

Pleine de rêve encore, je répondis :

— Ma foi, je n’en sais rien… Je volais au-dessus de la terre entière. Tout le monde était heureux et riait. Pas un seul être méchant… pas de méfiance, pas de mesquinerie, nulle envie ! Ah ! quels aperçus magnifiques !

Maman me regardait, décontenancée. Elle devinait bien que c’était l’éclosion de ma jeunesse qui cherchait à se frayer un chemin, mais elle voulut tempérer mes élans et elle murmura :

— Si tu consentais seulement à faire un peu de tapisserie près de moi…

— Oh ! que j’en serais vite excédée ! ripostai-je en levant les bras comme si je secouais aiguille et laine.

Je voulus m’élancer dehors, mais je me heurtai à Jannik qui demanda à ma mère si elle pouvait recevoir le régisseur.

Je reculai et j’allai dans la pièce à côté, où il y avait une autre sortie. Je ne voulais pas voir cet homme. Puis, je me