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marane la passionnée

Je répondis avec la candeur d’une jeune fille qui ne sait rien de la vie, dont l’imagination et le cœur sont emportés par l’enthousiasme le plus fervent :

— J’aime Renaud de Nadière !

Maman se pencha vers moi, les deux mains appuyées sur les bras de son fauteuil. Elle plongea ses yeux dans les miens avec une telle intensité que je dus abaisser mes paupières.

— Quoi ! murmura-t-elle, oppressée, c’est tout ce que tu avais à m’avouer ? Une sottise digne d’une insensée ! Tu peux formuler de pareilles billevesées, alors que je tremble nuit et jour pour toi, en attendant ton aveu. Dans d’autres circonstances, cette phrase stupide ne serait qu’inconcevante autant que ridicule, mais dans le cas présent, elle est d’un cynisme rare. Comment peux-tu oser songer à aimer, toi, dont la vie est brisée à jamais, par ce que tu sais ?

Au fond de moi, j’étais interdite, mais comme maman attendait une réponse, je m’efforçai de dire paisiblement, pour la calmer :

— Quelle histoire pour si peu de chose ! Je me sens dans le cœur une pitié pour ce mari, et tu me fais un sermon.

— Elle parle de pitié, cria maman avec véhémence, et elle n’a pas pitié de moi !

Décidément, je pensai que ma mère perdait la raison. Je me sentais un cœur compatissant, et il m’était constamment reproché qu’il n’existait pas.

Je répliquai avec agacement :

— La solitude ne te vaut rien du tout. Je crois que tu devrais voyager un peu, maintenant que nous avons de l’argent.

— Ah ! cet argent est cher ! interrompit maman.

— J’espère que tu n’as aucun remords pour le dépenser, dis-je vivement. Chanteux t’en a assez volé. Il est mort à point.

— Oh ! tais-toi.

— Je ne m’embarrasse pas de superstition, ni de scrupules inutiles, la mort de Chanteux a été une justice pour nous.

— Comme tu en parles avec aisance !

— Je n’avais nulle sympathie pour lui, au contraire ! C’était un être malfaisant.