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marane la passionnée

— Ne fais pas son procès maintenant.

— C’est très intéressant. Je vis intérieurement et j’aime à savoir ce que pensent les gens et ce qu’ils éprouvent. Je serais curieuse d’entendre si ce M. de Nadière regrette Jeanne.

— Tu es un monstre ! s’écria maman, suffoquée.

— Tu ne prends pas les choses comme je les comprends, répliquai-je avec impatience. Il est évident que ce mari est triste de la mort de sa femme, au moins pour le monde, mais dans son moi intime, se dit-il qu’il s’était trompé sur sa valeur ? Je n’ai aucun égard pour la fausseté. Je suppose que si je voyais ce monsieur, il aurait un air de douleur pénétrée, mais je saurais tout de suite s’il est sincère. En dessous de cette componction, je découvrirais sans tarder le coin riant qui ne demande qu’à s’épanouir.

— Tu es odieuse.

— Je le sais depuis longtemps.

— Impossible de ressentir quelque douceur en ta compagnie. Tu cherches le ver partout.

— Nullement ; je demande à être éclairée, tout simplement. Il me paraît invraisemblable que la laide âme de Jeanne de Jilique n’ait pu transparaître. Je voudrais faire la connaissance de M. de Nadière.

— Ce serait le comble ! Tu irais dire du mal de cette malheureuse, afin de plonger cet homme dans un désespoir plus grand.

— Heuh ! Heuh ! Ce serait à voir.

Jeannic vint annoncer que le dîner était servi et nous coupâmes court à cette conversation.

Je passai la soirée dans un état d’esprit des plus bizarres. J’aurais voulu consoler M. de Nadière. Ce mari qui avait passé un an près de ma cousine, m’attirait. Je devinais qu’il avait besoin de réconfort, non pour son deuil apparent, mais pour la déception qu’il avait eue.

Hantée par cette idée, je dis encore à maman :

— Que je voudrais connaître le mari de Jeanne !

— Je t’avouerai que je suis satisfaite que ce ne soit pas facile, tellement je crains ton exaltation. Sans doute, ma cousine va-t-elle perdre contact avec lui, et ce ne sera pas à nous à le relancer.