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marane la passionnée

Pourtant, je me souvenais de sa trahison et je pensais aussi que j’avais été juste. Ma première souffrance de femme venait d’elle et je déclarai sentencieusement :

— Elle ne pouvait prétendre à être heureuse, parce qu’elle était méchante. Tous les méchants sont punis.

— Oh ! cria maman, comment peux-tu parler ainsi ! On dirait que tu as le droit de proclamer la justice !

— Je ne proclame rien, je dis ce que je sens.

— C’est là toute la tristesse que tu montres envers cette disparition ? Tu l’aimais cependant, cette jeune fille.

— Oui, mais elle s’est jouée de moi.

— Que tu es vindicative, Marane !

— Mais non, tu te trompes, maman. Tu me juges superficiellement.

— Comment donc ! Il n’y a que toi pour bien juger les autres !

Comme ma mère était irritée, je ne pouvais échanger deux mots avec elle sans que sa colère montât.

Je repris doucement :

— De quoi Jeanne de Jilique a-t-elle pu mourir ? Elle paraissait fort bien portante.

Je m’étais enfoncée dans un fauteuil et je me chauffais devant un feu de bois. Malgré le chauffage central, maman aimait les flambées, et nous avions toujours une bûche qui brûlait dans la cheminée. Nous ne parlâmes pas durant quelques minutes. Je laissais ma pensée errer. Je me souvenais. La conduite de Jeanne de Jilique me revenait en mémoire, vivante, blessante, et je ne pouvais m’empêcher de m’y appesantir.

Je dis soudain, comme si je me parlais :

— Je me demande ce qu’il devient, lui ?

— Lui ? De qui parles-tu ?

— De M. de Nadière. Quel est son état d’âme ? A-t-il compris le caractère de sa femme ? S’est-elle moquée de lui ?

— Laisse donc ces détails. Ils sont tellement inutiles.

— Ces détails ! m’écriai-je avec emportement, mais ces détails sont la vie même ! Cet homme s’est marié avec cette femme parce qu’il l’aimait, je présume, et comment la regrette-t-il ? A-t-il vu quelle fourbe elle était, et…