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marane la passionnée

Je ne me contemplais pas davantage dans un miroir. Je gardais ma jupe grise et ma casaque de laine. Je savais que j’étais pâle et que ma bouche était sérieuse.

Quant à mes yeux, que valaient-ils ?

À son dernier séjour, Évariste m’avait dit qu’il n’avait jamais vu les pareils.

Ils étaient verts, avec parfois un reflet d’émeraude. Mais leur expression, je ne la connaissais pas. Ah ! que m’importaient tous ces détails !

Tout mon être subissait un ralenti. J’étais au point mort, attendant instinctivement un changement dans mon existence, et cependant je ne pressentais rien. Il me semblait que tous mes jours allaient se passer ainsi, à parcourir mollement la lande avec mes chiens, à n’escompter rien, à vieillir lentement, bercée par le flot rieur ou la plainte lugubre de la mer, mon amie…


X


Dans une de mes courses vagabondes, je rencontrai M. le curé.

— Mon enfant…

Je pris un air dégagé et je dis en souriant :

— C’est rare que l’on vous rencontre sur les routes, Monsieur le curé.

Il me regardait. Je savais ce que cet examen signifiait. Il n’était pas homme à biaiser et il me demanda :

— J’ai eu beaucoup de chagrin de ne pas vous voir parmi mon troupeau pieux en ces dernières fêtes.

— Ah ! répondis-je sottement. — Votre chère mère est désolée par vos façons de procéder. Il paraît que votre caractère change beaucoup.

— En surface, peut-être, mais pour le fond, je ne crois pas, affirmai-je sans conviction.

— Puisse Dieu vous comprendre. Pour moi, je vous trouve l’expression triste et les traits creusés.

— Quelle fantaisie ! m’écriai-je en me forçant à rire.