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marane la passionnée

— Qu’as-tu fait, malheureuse ?

Je ne bronchai pas sous cette question, pas plus que je ne fus émue du regard terrible que me jeta ma mère.

Puis, soudain, je murmurai :

— Que t’importe !

— Que m’importe ! Mais tu me crucifies ! Ma fille a… a…

— … A tué Chanteux ! Toujours cette histoire ! N’y pense donc plus. Tu es sauvée, c’est là l’important. Des bêtes immondes comme cet homme ne sont créées que pour être écrasées.

— Oh ! quel affreux calvaire je puis vivre ! gémit maman.

— Tu aimerais peut-être mieux être la femme de Chanteux ? dis-je sans respect.

— Tu es abominable !

J’en convins et je demandai pardon à maman.

Elle réitéra sa question :

— Viendras-tu te confesser avec moi ?

— Non ! ripostai-je sèchement.

Sans autre parole, je m’en allai.

Les velléités de douceur, de prévenances, de travaux d’intérieur que j’avais cru deviner en moi avaient disparu.

Pour le moment, deux choses obsédaient mon cerveau : la venue de ces étrangers dans le Castel des Crares et le bonheur de Jeanne de Jilique. Elle jouissait sans doute d’une félicité paisible, tandis que je menais une vie terrible.

J’eus le projet d’aller la voir dans sa quiétude, afin de la troubler… Ô honte sur moi… Je devenais méchante, nerveuse, insatiable… Je me dirigeai, ce matin-là, vers la ferme des Cordenec.

— Bonjour, Mamzelle…

— Bonjour, tous ! Jeantic m’a priée de vous dire de vous rendre à la maison des Clos pour vous occuper d’une vache malade.

— Bien !… Ah ! Jeantic est un fameux maître ; il est juste, il est bon, tandis que M’sieu Chanteux, quel homme dur !

— Dites donc, bonne fermière, il me semble que vous ne parliez pas ainsi quand Chanteux vivait.

— Oh ! Mamzelle, on avait si peur ! Il vous commandait