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marane la passionnée

— Comment peux-tu dormir ?

— Je ne dors pas, répliquai-je.

— Comment peux-tu encore regarder les gens en face ?

— Je ne les regarde pas !

— Marane, Marane, explique-moi comment l’atroce chose a été accomplie.

— Je n’en sais rien.

— Je crois que je côtoie la folie. On a repêché Chanteux, c’est tout ce que je sais.

— Les autres n’en savent pas davantage.

— Et toi ? insista maman dans un souffle, perceptible pour moi seule.

Je laissai tomber avec indifférence :

— Moi non plus.

— Je ne te crois pas ! Tu es partie d’ici, avec l’intention de le… de le tuer…

— Oh ! ne parle pas si fort !

— Tu es sauvée, maman ! Nous respirons… Bonsoir, maman.

Ma mère ne pouvait plus m’embrasser, mais cela ne me manquait pas. Je devenais d’une indifférence absolue. Quelque chose s’était brisé en moi.

Les jours s’écoulant, les cœurs s’ouvrirent autour de nous.

Il nous fallut recevoir tous les fermiers qui venaient apporter leurs comptes. Les langues se déliaient, et maman dut, bon gré mal gré, écouter les doléances, les plaintes, les accusations portées contre le régisseur. La mort ne le faisait pas respecter. Tous ces gens vivaient sous le régime de la terreur.

Maman frissonnait en entendant toutes ces voix rendant un son unique.

Quant à moi, une satisfaction cruelle m’envahissait en constatant combien Chanteux était peu regretté.

Le plus expérimenté de nos fermiers, de l’avis de tous, fut promu au titre de régisseur. Il ne ménagea pas la mémoire de celui auquel il succédait, et promit à maman de beaux revenus.

Elle était terrifiée par tout ce qu’elle apprenait et, si elle avait soupçonné quelque malhonnêteté de la part de Chanteux, elle était loin de penser à quel point il la poussait.