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marane la passionnée

bras de maman, et je m’enfuis en courant, dépistant toute recherche.

Je revins trois heures après.

Maman scruta mon visage, mais elle ne me demanda rien.

Je m’assis en face d’elle pour le repas du soir. Nous avions terminé notre potage, quand Jeannic entra en coup de vent, sans souci de protocole.

Elle cria comme une hallucinée, les bras en l’air :

— On vient de retirer M. Chanteux de l’eau ! Il est mort noyé.


IX


Maman me jeta un regard et poussa un cri terrible.

Je ne prononçai pas un mot. Je ne me levai même pas de table, cependant je n’eus pas le courage d’ordonner à Jeannic de continuer le service.

La servante, avec de grands gestes, commentait l’accident. Bientôt le domestique vint la rejoindre, puis une autre domestique, et maman apprit que le régisseur avait été retiré d’une pièce d’eau, située au bout du parc.

J’écoutais. Je me retins pour affirmer que ce n’était pas une grande perte. Mais ces paroles mêmes vinrent aux lèvres de Jeannic.

Maman la pria de se taire.

Les formalités qui suivirent cet événement dramatique causèrent, dans la maison, un trouble normal. Les hommes qui avaient relevé le corps furent interrogés, et l’on conclut à une chute, suivie de congestion.

Maman ne me parlait plus. Je ne désirais pas non plus échanger des paroles avec elle. Il me semblait que tout mon être était pétrifié. Je n’éprouvais plus de sensation. Mon cœur était devenu de pierre. J’allais comme une somnambule, l’âme dolente.

Cette délivrance ne m’apportait pas la joie que j’escomptais. Chanteux disparu, l’ombre restait épaisse autour de moi.

Un soir, alors que j’avais souhaité bonne nuit à ma mère, elle me dit rudement :