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marane la passionnée

Je tournais dans la pièce comme un tigre en cage.

— C’est affreux ! gémissait maman.

Elle pensait à l’ensemble de la situation, tandis que je ne voyais plus que le dernier détail.

— Oui, c’est affreux, et je veux te venger !

— Tais-toi, soupira maman.

— Oh ! non, je ne pourrais pas me taire ! Je ne laisserai pas cet homme nous salir davantage. Oh ! les mains de ma mère touchées par ce monstre. Maman ! Maman ! criai-je désespérée, tu ne l’épouseras pas, n’est-ce pas ?

— Oh ! s’écria maman dans un cri d’agonie. L’épouvante et la honte avaient jailli dans ce mot.

Je me jetai dans ses bras et je me serrai contre elle avec frénésie. Puis je cherchai du vinaigre de toilette et je frottai ses doigts ainsi que ses poignets. Mes larmes coulaient et j’articulais des mots sans suite.

Cependant, j’étais prise d’une sorte de fierté en me convainquant que maman n’aimait pas cet homme. Une science sourdait en moi. Je me disais que ma mère aurait pu avoir un penchant pour lui, bien que cela me parût un crime de l’envisager.

La beauté de la vie se détachait peu à peu de moi. Mon âme tournoyait dans un abîme et il me semblait que mes épaules se courbaient sous la calamité humaine.

Je fus dans cet état durant quelques heures, puis une résolution s’empara de moi, hypnotisant mon être.

Je sentais mes lèvres se pincer, mes yeux devenir durs. Mon cœur se transformait. Je devenais une autre personne.

Nous répondîmes à l’appel de Jeannic, nous annonçant que le déjeuner était servi.

Je suivis maman dans la salle à manger. Nous nous assîmes en silence.

— Dois-je faire revenir Évariste ? prononça soudain ma mère.

— Ah ! non, répliquai-je, pour qu’on l’empoisonne encore !

Il y eut un nouveau silence. Je ne pensais nullement à dissimuler mon souci, tandis que maman accumulait les efforts pour avoir un air dégagé.

Je pouvais à peine parler. Mes réflexions étaient trop absorbantes.