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marane la passionnée

Ce fut avec un soulagement qui me transporta que je vis les yeux de ma mère se rouvrir.

Nous la déposâmes sur son lit, nous la réchauffâmes par des boules d’eau chaude et notre brave servante dit :

— Madame ne devrait pas s’occuper d’affaires. Chaque fois que M. Chanteux vient, madame se fait du mauvais sang. C’est un gars qui n’est pas bon ; il ressemble à son défunt père qui ne pensait qu’au mal, sans compter qu’il braconnait sans se gêner.

Ô honte ! la comtesse de Caye était sollicitée en mariage par le fils d’un braconnier !

Jeannic continua :

— M’est avis que le fils braconne en grand sur les terres de Madame, mais ce ne sont pas des lapins qu’il lui faut. L’ambition a grandi, on en jase à mots couverts.

— N’écoutez pas ces commérages, Jeannic.

La servante se tut. J’en savais assez. Ce Chanteux était notre mortel ennemi et il fallait en finir avec lui.

Quelques jours passèrent dans des réflexions douloureuses. Maman était sans force physique, sans ressort moral.

Je n’osais plus trahir ma pensée, craignant de l’affliger. Comme les natures détestant la lutte, elle pensait toujours que le miracle allait arriver qui nous sauverait.

Ah ! comme je le demandais aussi, ce miracle, mais je sentais confusément qu’il fallait l’aider.

Un matin, j’étais dans la pièce qui communiquait avec celle de ma mère, quand on annonça Chanteux.

Elle le reçut dans un petit boudoir, et je me postai dans sa chambre, prête à la soutenir, le cas échéant. J’écoutai la conversation sans déceler ma présence.

— Vous êtes seule, Madame ? demanda Chanteux.

— Oui, Monsieur Chanteux.

Ma mère était de bonne foi.

— J’aime mieux cela ! répliqua le régisseur, à l’aise, puis, sans transition, il continua :

— Cette petite demoiselle ne comprend rien de la vie et vous empêche de voir clair. Je suppose que vous avez réfléchi aux deux propositions que je vous ai faites : la vente de votre domaine pour vous sauver du besoin, ou un mariage avec moi