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marane la passionnée

Après quelques minutes de recueillement, je bondis sur mes pieds et je criai :

— Ayaya ! ayara !

Rasco et Sidra se dressèrent, empoignèrent de nouveau mes nattes et nous courûmes dans le clair de lune. Les ajoncs, les pierres, les ronces furent franchis comme des jeux. Nous étions légers comme le vent.

Je revins toujours courant et fus vite devant le manoir qui s’érigeait blanc dans la clarté bleuâtre. Soudain, une ombre se profila devant moi.

— Monsieur Chanteux !

— Oui, Mademoiselle. Vous n’avez pas peur de vous promener seule à des heures pareilles ?

C’était un blâme.

La lune sertissait le visage du régisseur, dont on devinait le poil dur rasé soigneusement. Le regard fuyant de ses yeux étroits se posait par touches rapides sur le groupe que nous formions, les chiens et moi.

Je répliquai :

— Je ne crains rien avec eux.

Je désignais mes deux gardiens. Ils comprirent et me regardèrent. Ils avaient lâché mes tresses et, sous leur air bénin, ils veillaient avec vigilance. Il n’eût pas fallu que l’homme allongeât le bras.

Avec un léger salut, je continuai ma marche vers la maison, tandis qu’il ne bougeait pas.

Je détestais cet homme. Je sentais un danger dans sa présence. Ses façons ironiques m’étaient insupportables. Je ne pouvais rien préciser, mais je me défiais. Cependant, je n’avais pas peur de lui.

J’escaladai le perron, puis j’allai frapper à la chambre de ma mère. Je l’embrassai avec affection et je regagnai ma chambre, séparée de la sienne par un vaste cabinet de toilette.

Le lendemain, je me réveillai de bonne humeur. Maman n’était plus dans sa chambre.

Je me dirigeai vers le bureau de mon père. Je m’arrêtai sur le seuil en percevant la voix de ma mère et celle de Chanteux.