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gime. Leur coup de fourchette est remarquable et du poulet servi, il n’est resté que la carcasse bien brossés.

— À la bonne heure !

— Cependant, j’espacerai ces visites, parce qu’en sortant de chez elles, j’ai senti que j’avais quatre-vingt-dix ans. Ma tante ira encore dimanche, soi-disant pour montrer un vieux papier de famille, moi je prétexterai une invitation…

Marcelle attendit que Colette voulût bien lui dire : Viens à la maison.

Mais son amie ne prononça pas ces paroles. La pauvre était bien en peine, car elle était liée par la perspective d’aller à Cormeilles. Si elle invitait Marcelle, elle était tenue de tout lui raconter.

Sa compagne la regarda, surprise de ne pas entendre ce qu’elle escomptait. Ce silence la confirma qu’il se passait quelque chose d’anormal dans la vie de son amie.

Colette devinait ses pensées et en ressentait un malaise.

Marcelle lui dit : Au revoir, froidement, quand elle fut devant sa porte.

Tout de suite, Colette raconta son embarras à sa mère.

— Elle attendait que je la prie de venir à la maison, mais je n’ai pas osé, puisqu’il est entendu que nous irons tous à Cormeilles, s’il fait beau !

— Tu n’as pas été fine… Ne pouvais-tu dire que nous allions chez des amis…

— Elle connaît tous nos amis…

— On peut en avoir de nouveaux, et c’est le cas !… Son imagination va courir.

— Tant pis ! tant pis !

Il arriva que le samedi fut un jour superbe, promettant un non moins beau dimanche. Toute la famille se prépara joyeusement à la promenade du lendemain.

— Nous irons à la découverte, dit M. Tiguel. J’ai les clefs en poche, ainsi que le plan de l’endroit où se trouve la maison… J’ai le nom et le signalement de celle-ci, et ce sera très amusant… M. Jacques Balliat ne viendra pas nous voir, et nous serons libres.

Il était vingt heures. L’air était délicieux, le jour pur.

On sonna à la porte. C’était Marcelle. Elle abdiquait toute fierté et venait demander si elle pourrait venir passer l’après-midi du dimanche avec ses voisins.

Il y eut un tout petit silence, mais il fut suffisant pour que la jeune fille sentit le froid qui passait à travers. Mme Tiguel murmura :