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Quand elle fut sur le point de repartir pour son atelier, sa mère lui recommanda :

— Tu diras à Marcelle qu’elle vienne avec sa tante, ce soir, manger un morceau de galette…

— Oh ! tu en as fait ?

— Oui, parce que c’est aujourd’hui l’anniversaire de notre mariage…

— Ah ! maman, je t’apporterai des fleurs !

— Et ton père m’apportera sûrement un petit cadeau comme il le fait toujours…

— Pourquoi inviter Marcelle et sa tante ?

— Tu comprends… nous sommes heureuses et il faut bien penser un peu à ces deux pauvres femmes qui ne sont jamais gaies l’une en face de l’autre.

Colette promit de faire la commission et partit.

Le soir, les deux amies revinrent ensemble.

Marcelle ne put se tenir de lui dire tout de suite :

— On dirait que tu as un soleil dans-le corps… tu illuminais tout l’atelier par ton expression extasiée…

— Je ne m’en doutais pas !

— C’est encore plus grave alors… quand on projette des rayons sans le savoir, il faut croire que l’on a des sensations tellement fortes qu’elles vous échappent ! Je te félicite…

Colette s’écria :

N’es-tu pas radieuse, toi, par ce temps merveilleux ? Quand on passe devant un jardin, l’arome des feuilles neuves vous inonde de bien-être, les arbres sont peuplés d’oiseaux, la lumière fuse de partout… On est sorti de l’obscurité de l’hiver… cela ne te suffit pas pour être joyeuse ?

— Oh ! oh ! deviendrais-tu poëte à ce point ? j’ai assez de mal à en être convaincue… Non, ma chère, il y a autre chose sous cette poësie !

— Ce sera comme tu voudras ! s’exclama gaîment Colette… Je sais depuis longtemps que tu es tenace et que tu persistes dans tes découvertes… Il faut que l’idée que tu as dans la tête, s’use d’elle-même…

Il y eut un silence entre les deux jeunes filles, mais Marcelle le rompit bientôt.

— Quand pensez-vous aller chez Mme Balliat ?

Cette question posée à l’improviste fit rougir Colette et l’embarrassa. Elle était ennuyée de ce que Marcelle parlât des Balliat. Elle eût voulu que leur nom et leur personnalité restassent dans l’ombre.