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— Nous avons le projet d’aller à la campagne de très bonne heure…

— Oh ! que vous avez de la chance !

Un tel regret, un tel désir, soulignaient les paroles de Marcelle, que Mme Tiguel échangea un coup d’œil avec son mari, puis elle dit aimablement :

— Si cela te plaît, Marcelle, tu peux te joindre à nous, puisque tu seras seule…

— Merci, Madame ! que vous êtes aimable ! vous me voyez ravie.

Colette n’était pas tout à fait satisfaite. Il lui était désagréable que Marcelle les accompagnât dans cette première exploration… Elle eût voulu savourer en famille la découverte de « sa » maison. Néanmoins, elle ne fit pas voir sa déception et dit gentiment :

— Nous ne savons pas où nous allons… C’est un ami de Papa qui a mis sa baraque à notre disposition pour que nous prenions une bonne journée d’air.

— Que c’est amusant ! s’écria Marcelle, égayée, j’aime les surprises. Tout le long du chemin, nous nous demanderons si c’est un château ou une chaumière. Ah ! j’aime mieux cela que d’aller chez les cousines !

Mme Tiguel organisait des paniers d’aliments, afin que chacun en portât un. Marcelle dit qu’elle fournirait aussi un appoint, et elle se sauva vite pour se le procurer.

Quand elle fut partie, Mme Tiguel dit à sa fille :

— Cela ne te contrarie pas d’avoir Marcelle ?

— Mais non.

— Je te voyais pensive…

— C’est parce que nous allons là-bas pour la première fois…

— Dans tous les cas, intervînt son père, tu as eu raison d’avancer que le propriétaire était un de mes amis, cela coupe court à tout commérage…

— Oui, mais si M. Balliat se ravisait et venait nous dire bonjour dans le courant de la journée, quel ramage ferait notre Marcelle avec son caractère ombrageux !

C’était le fils aîné qui parlait et Colette devint pâle en l’écoutant.

— Il n’est pas probable que nous ayions sa visite, dit le père.

— Et puis tant pis ! s’écria Mme Tiguel, on ne peut vivre avec toutes ces tracasseries. S’il vient, Marcelle le verra et puis voilà tout ! Elle pensera ce qu’elle voudra.

Ce fut une bande joyeuse qui prit le train pour descendre à Cormeilles.

Là, M. Tiguel prit son plan, puis, d’un pas assuré, il se dirigea vers le but. Ce fut en bavardant et en riant que sa famille le suivit.