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— J’ai cru vous rendre service…, mais je dois ajouter que Gérard Manaut est bien considéré par son concierge. C’est un garçon qui ne sort que pour son travail… Ce n’est pas de sa faute s’il a été mal élevé…

Un soupir de soulagement sortit des lèvres du patron après cette rectification. Il était heureux que Gérard ne fût pas totalement coupable.

Cette nuance n’échappa pas à Plit, mais comme il était honnête il ne regretta pas d’avoir atténué ses paroles en rectifiant ses révélations.

Cependant, il voulut en terminer avec ses incertitudes, et il dit :

— Patron, j’ai une demande sérieuse à vous faire… vous me connaissez, moi et ma famille. J’ai trois frères qui travaillent et qui sont de bons ouvriers ; mon père est veilleur de nuit depuis des années dans la même usine, où il a la confiance de ses chefs ; ma mère, vous l’avez su par notre curé, est la meilleure et la plus pieuse des femmes… Voulez-vous de moi pour gendre ?

Ainsi, la phrase difficile était, prononcée. Plit n’osait plus regarder son patron. Il baissait la tête, affectant d’examiner attentivement un sac de vis.

En tout autre temps, Bodrot eût accueilli cette demande avec joie. Il appréciait la famille Plit qui faisait honneur à la corporation ouvrière par ses qualités de travail et de sobriété.

Mais le patron savait maintenant qu’il y avait mieux que Plit. Il existait de par le monde des jeunes gens, sérieux aussi, qui savaient concilier l’intelligence avec le travail manuel et les bonnes manières avec la parfaite camaraderie.

Ils pouvaient ne pas être grossiers et vivre parmi les humbles en les appréciant.

Bodrot plaignait Gérard et l’admirait, Une pitié l’envahissait pour ce pauvre jeune homme qui, arraché brutalement d’un rêve trop beau, s’était réveillé sous les angoisses de la pauvreté.

Bodrot ne voulait pas admettre que Gérard fût coupable en quoi que ce fût. C’était le père qui, grisé par l’argent qu’il gagnait, avait sombré dans la spéculation pour se rattraper.

Que dirait-il à Mathilde ? La vérité, tout simplement. Maintenant, il trouvait que Gérard était moins loin d’elle. Le jeune homme était sorti de son monde pour n’y plus rentrer, et il serait sans doute reconnaissant qu’un homme sérieux comme Bodrot lui tendît la main.

Il répondit à Plit :

— Mon garçon, votre demande me prouve que vous avez de l’estime pour le père Bodrot… Je la transmettrai à ma fille : c’est elle qui doit juger… Vous savez que, actuellement, on ne marie plus les enfants comme autrefois… Elles décident.,.