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Il avait invité Gérard, la conversation roulait souvent sur cette visite. Mais elle se résumait sans variante sur les premières paroles échangées à ce sujet entre le père et la fille.

— Mon nouvel ouvrier te plaît-il ?

— On serait difficile de ne pas le trouver bien… trop bien, peut-être…

— Trop bien ?… Que veux-tu dire ? Personne ne sera jamais trop bien pour toi, et s’il te plaît, je te donnerais volontiers mon consentement à ce mariage-là…

— Eh !… il faudrait d’abord que Manaut y consentît…

— Hein ?… La fille du patron Bodrot est un parti fameux !

— Ne t’en déplaise, mon petit papa, je ne crois pas que ce Gérard Manaut tienne à m’épouser… Il y a dans son air quelque chose que je ne puis exprimer, mais qui me donne à penser qu’il ne fait pas partie du monde des ouvriers.

Mathilde parlait en cherchant ses mots. Son père, surpris, répliqua :

— Tu as une idée… Dis-la…

— Je ne puis rien ajouter d’autre. Manaut a des manières que je n’ai jamais vues… Je pense qu’il a fréquenté un monde que nous ne connaissons pas. Naturellement, un mari dans ce genre serait agréable, mais je suis persuadée qu’il ne tient pas du tout à se marier avec moi…

Bodrot était abasourdi des appréciations de sa fille. S’il avait deviné un caractère peu vulgaire dans Gérard, il ne se doutait pas que la finesse de sa fille y verrait des nuances qu’il ne soupçonnait pas.

Il ne voulait pas se tenir pour battu et il murmura :

— Nous verrons bien…

Cette conversation s’était renouvelée pendant la semaine, Bodrot restant intrigué de ce que pensait Mathilde. Mais la jeune fille ne pouvait expliquer rien de plus. Elle avait obéi à une intuition qu’elle ne pouvait définir.


Ce matin-là, quand il entra dans son atelier, ses ouvriers étaient déjà en plein travail. Ses yeux se portèrent tout de suite vers Gérard qui ne perdait pas une minute. Une lueur de satisfaction passa dans le regard du brave homme. Plit surprit ces jeux de physionomie et la colère qui sourdait dans son âme s’amplifia.

Gérard était loin de supposer l’agitation qu’il jetait dans les esprits.

Bodrot parla et ce fut pour s’adresser à son nouvel ouvrier :

— Manaut, vous regarderez cette clé et vous ferez la même. Je vous la recommande, elle est fort délicate à réussir.

— Bien, patron.