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marier avec la fille du riche serrurier afin de reprendre son existence de fêtard.

Pour dire la vérité, un sourire de triomphe se jouait sur les lèvres de Plit. Il voyait que le sort de Gérard était catalogué. Jamais Bodrot ne donnerait sa fille à un homme de cette espèce-là.

Mais Plit, n’ayant pas de preuves, conserva ses pensées pour lui. Tant qu’il ne saurait pas davantage, il fallait se taire, mais se hâter pourtant afin que Mathilde ne s’engageât pas.

L’ouvrier eut alors l’idée de feuilleter un annuaire commercial où il découvrit plusieurs Manaut. Il alla aux adresses indiquées et finit par tomber sur l’ancienne banque.

Il apprit alors d’un commis, que ses largesses firent parler, ce qu’étaient les Manaut dont il s’inquiétait tant.

On vantait le désintéressement du père et du fils et la nécessité pour ce dernier de subvenir aux besoins de l’ancien banquier, victime d’un accident. Les Manaut n’avaient rien conservé de ce que leur hôtel accumulait d’objets d’art, réunis par leurs ancêtres. Tous les clients avaient été rigoureusement remboursés, M.  Manaut se considérant comme responsable d’une affaire qu’il prônait.

Plit était bouleversé par ce qu’il apprenait. Il eût franchement admiré la conduite de Gérard, si les circonstances eussent été autres. Mais, pour le moment, le pseudo-ouvrier devenait un concurrent redoutable. Il l’était d’autant plus que ses qualités étaient réelles.

La droiture de Plit était forcée de le reconnaître. Elevé dans des principes d’honnêteté, Plit ne pouvait accabler son semblable quand il n’y avait pas lieu de le faire.

Tomber du luxe dans un atelier de serrurerie et s’y montrer expert était tout à l’honneur du nouveau pauvre.

Plit réfléchissait, perplexe, à ces choses.

S’il n’était pas fâché de savoir d’où sortait leur compagnon d’atelier, il se débattait contre une sorte de jalousie, de dépit de voir ses plans menacés. Jusque-là, le patron le favorisait incontestablement et Plit se sentait tout à fait désigné pour succéder à Bodrot ou devenir son associé.

Puis, Plit, bien qu’il s’en défendît par une sorte de pudeur, trouvait Mathilde très à son goût. Il n’eût pas osé lui adresser la parole, mais il la voyait fort bien dans leur intérieur, en train de préparer les repas en l’attendant. Il considérait un peu comme une faiblesse ce sentiment né par surprise. Un homme, selon lui, était fait pour commander et non pour subir l’emprise d’un sentiment semblable. Il se débattait donc dans des regrets amers. Il pensait, dans son ignorance plébéienne touchant le monde supérieur, que si les Manaut avaient vécu plus simple-