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vivaient-ils seuls, et elle se représenta le ménage triste sans les soins d’une femme.

Quinze jours après cet incident, Bodrot s’enquit près de Gérard de la santé de son père. Il répondit qu’il allait mieux sans poursuivre la conversation.

Le patron, gaiement, profita de ces bonnes nouvelles pour recommencer l’invitation qui lui tenait tant au cœur.

— Voulez-vous venir prendre le café avec nous, demain dimanche ?

Gérard essaya de nouveau de se soustraire à cette atteinte de sa liberté.

Bodrot fut piqué et repartit d’un ton plus sec :

— Je constate que vous dédaignez de venir chez moi…

Gérard craignit de compromettre le présent. Il venait d’être augmenté après deux mois de travail et il avait besoin de son gain.

Il crut bon de se raviser afin de ne pas encourir l’hostilité de son patron, et il répondit :

— Demain dimanche, je dois faire une démarche à la place de mon père et je ne trouvais pas poli de me sauver de chez vous sitôt le café bu… Pourtant, si vous me permettez d’agir ainsi, je me rendrai à votre aimable invitation.

Bodrot se rasséréna. Il ne demandait qu’un peu de bonne volonté, et celle de son ouvrier l’enchanta.

— Alors, c’est entendu…

Le lendemain, Gérard s’achemina vers le logement de Bodrot. Il était gai. Il pensait aux progrès de la santé de son père. Le docteur laissait espérer qu’on enlèverait bientôt le plâtre, et M.  Manaut se réjouissait comme un enfant de pouvoir poser le pied à terre.

Il pouvait faire sa correspondance et il entretenait un courrier nombreux qu’il tenait secret, voulant ne causer aucun déboire à son fils. Il voulait reconquérir une situation et s’y employait.

Gérard prévoyait cependant un changement heureux dans la situation et il s’acheminait plein d’allégresse vers la demeure de son patron.

Il y fut accueilli par une aimable jeune fille, qui, sans être belle, était charmante. Sa simplicité et ses manières franches le mirent à l’aise.

Mathilde, sans paraître l’observer, ne fut pas longue à comprendre que Gérard était d’un autre milieu que le leur. Son aisance, sa façon de saluer, de se tenir, lui révélèrent un genre d’homme qu’elle n’était pas accoutumée à rencontrer.

Ses regards allaient de son père à cet ouvrier qui écoutait avec déférence les paroles de son patron.