Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ça, c’est vrai…

— Et vot’ fils ?

— Il achève de s’habiller…

— Il est un peu fiérot… Est-ce qu’il est en place ?

— Mais oui…

Gérard sortit de sa chambre, et après avoir répondu au bonjour de Mme Wame d’un air indifférent, il ne lui prêta plus aucune attention.

Il dit à M. Manaut :

— Je sors, père… Je rentrerai le plus vite possible… À tout à l’heure !

Sitôt qu’il fut hors de la pièce, la femme de ménage s’exclama :

— Ah ! bien, il n’est pas « causant », vot’ fils, et pourtant il a l’air d’avoir de l’éducation…

Le banquier essaya de détourner la conversation avec adresse et bonté. Il ne tenait pas à s’aliéner cette brave créature, très entendue à ses fonctions.

Gérard se pressait. Il se rendit chez l’avocat qui le reçut fort aimablement, lui demandant des nouvelles détaillées de son père, appuyant sur la si parfaite conduite du banquier. Il prédit des temps meilleurs et regretta de n’avoir pas besoin de secrétaire. Il donna l’adresse d’un de ses amis, notaire.

Gérard y courut. Le notaire n’était pas à son étude.

Désemparé par l’insuccès et l’heure qui coulait, Gérard se présenta chez un homme de lettres. Ce dernier n’employait un secrétaire que par intermittences. De nouveau, il essaya d’obtenir une situation chez un industriel, mais le personnel y était complet.

Il ressortit de ces démarches que Gérard pouvait prétendre à se poser comme postulant avec l’espoir de gagner quatre A cinq cents francs par mois pour débuter. Mais aucune place n’étant disponible, il fallait patienter jusqu’à la prochaine vacance.

À midi, Gérard n’était pas plus avancé que le matin en partant. Il apprit que bien des jeunes gens étaient dans son cas et qu’ils acceptaient, en attendant, des situations des plus modestes : chauffeurs de taxi, ouvrier-mécanicien, garçon de café… Avant tout, il fallait vivre, faire face à l’existence, lutter de toutes ses forces vives-contre le destin jusqu’à ce que la chance tournât…

Une sorte d’hébétement atteignait Gérard. Ces chocs successifs qui tombaient sur sa bonne volonté et son espoir le laissaient étourdi. Il se demandait ce qu’il allait dire à son père.

Son visage perdait l’expression juvénile qui le rendait si attachant. Un voile l’assombrissait, ombre du doute, reflet d’inquiétude.