Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir rangé diverses choses, comme un homme habitué à tout, il sortit, suivi par Mathilde.

— Vous m’avez reconnue, mon Père, n’est-ce pas ? Je suis Mlle  Bodrot.

— Je me souviens.

Mathilde, maintenant, ne savait plus que dire. Emportée par son cœur généreux, elle avait eu pitié de Denise. Mais elle ne savait comment exprimer ce qu’elle désirait, et elle se gourmandait intérieurement en pensant : « Je me suis mêlée de ce qui ne me regarde pas… »

Il fallait cependant parler.

— Mon Révérend Père, dit-elle de sa voix décidée, j’ai vu la fiancée de M. Gérard, Mlle  Laslay…

— Ah !…

— Elle l’a reconnu, en train de travailler chez Mme  Alixin, ma cliente, et elle est très brave : elle l’épouserait, même ouvrier…

Mathilde se redressa. Sa pensée était sortie de son cerveau comme elle l’ambitionnait : faire ressortir la constance d’une jeune fille et élever en même temps la corporation ouvrière. Son maintien exprimait : « Vous voyez que nous ne sommes pas dédaignés, même par une demoiselle… »

Elle était pleine de fierté. Le P. Archime comprit le sentiment auquel elle avait obéi et répondit :

— Vous êtes une créature de bonté ; vous désirez le bonheur pour tous. Et puisque nous sommes en pleines confidences, je puis vous assurer que Gérard est parti avec l’intention de se créer une situation. Mais il faut attendre encore un peu… Je sais que son séjour à l’atelier de votre père lui a fortifié l’âme et qu’il y a puisé de grands exemples d’énergie… Quant à vous, Mademoiselle, je sais que vous avez un cœur généreux et primesautier, bien que sensée… Je prierai pour vous au moment de votre mariage…

— Merci, mon Père… Je ne regrette pas ma démarche, parce qu’elle m’a mis l’esprit en repos.

Mathilde quitta le P. Archime et elle retourna vivement à ses besognes. Dans le logis clair de son père, elle chanta, pensant à son futur foyer qu’elle arrangerait bientôt.


Pendant que ces incidents se passaient, les Manaut, père et fils, s’en allaient vers l’Espagne. Ce départ comportait un malaise pour Gérard. Ce n’était pas sans un serrement de cœur qu’il laissait Denise Laslay sans un mot d’espoir. Mais il ne se sentait pas encore le droit de parler. Il fallait d’abord qu’il fît preuve des qualités d’un maître. Y réussirait-il comme il avait réussi sa tâche d’ouvrier ?