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et faire d’elle une pauvre chose ressemblant plus tard à Mme Plit ?

Une sueur froide inondait Gérard. Non, il ne fallait pas voir Denise. Il ne fallait pas que son cœur pût livrer une telle bataille. Il ne voulait pas se poser sur sa route pour lui infliger ce cruel problème dont ils sortiraient tous deux amoindris, elle si elle se dérobait, lui s’il acceptait.

On ne met pas en face d’une telle réalité une jeune fille à qui l’on a montré le prisme de toutes les élégances.

Que pouvait lui importer l’ahurissement de Mme Alixin ? Il avait fui pour ne pas embarrasser Denise, surtout, pour ne pas livrer au public leurs deux cœurs encore ulcérés par la rupture.

La conscience de Gérard était calme. Il avait travaillé pour sauver son père de la misère. Maintenant que les premières secousses du choc étaient amorties, Gérard se sentait plus fort parce qu’il s’était vu utile. Il songeait maintenant à continuer sa vie de travail, mais dans des conditions plus conformes à son éducation.

Il ne regrettait pas cependant les six mois qu’il venait de passer. Il avait l’intuition d’avoir fait un peu de bien parmi les ouvriers de Bodrot.

Il rentra chez lui. Près de M. Manaut se trouvait le P. Archime.

Les deux amis causaient avec animation. L’ancien banquier redevenait l’homme plein d’activité que l’on connaissait.

Les nouvelles qu’il recevait des mines le satisfaisaient de plus en plus. Sans en rien dire à son fils, il avait sollicité un poste de directeur.

Il avait argué du préjudice qui lui avait été causé et une dépêche venait de lui parvenir : on l’attendait comme grand organisateur.

Le P. Archime était survenu sur ces entrefaites et M. Manaut formait des projets et se préparait au départ.

— Ah ! voici Gérard !… Ecoute, mon fils !… Bonnes nouvelles, nous partons demain pour l’Espagne !…

— Demain ?… balbutia Gérard ahuri.

— Ou après-demain, si tu veux, afin que tu aies le temps de faire tes adieux à ton patron… Oui, mon enfant, je suis nommé aux mines de Crarepos… Ah ! je vais recommencer ma vie !… Figure-toi que j’ai déjà des offres de capitaux de mes anciens clients !… Ils ont des remords !… Mais ce qui me plaît là dedans, c’est que tu pourras reprendre ton ancienne existence, mon cher enfant… Dieu merci !… ton père va encore pouvoir travailler pour deux… Tu nous as tirés de besoin et je t’en remercie, mais maintenant, tu vas de nouveau en prendre à ton aise… Je vais on ne peut mieux. Je peux marcher sans canne… et je vous ai caché mes promenades dans la rue…