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l’ombre s’efface

Devais-je avertir M. de Gritte, ou courir à mon mari pour lui avouer ma stupidité ?

Il me semblait que j’aurais plus de facilité à m’expliquer avec Jacques qui me connaissait mieux et me serait indulgent.

D’autre part, M. de Gritte savait à quelles violences son fils pouvait se porter, tandis que Jacques le croyait tout à fait acquis à l’ancienne amitié. Mais comment expliquer à un père les idées malsaines de vengeance de son fils contre une innocente ? Il ne pourrait pas croire qu’Hervé pût nourrir de telles idées et il m’accuserait de coquetterie. Non, il valait mieux avoir recours à Jacques et lui raconter toute la vérité.

Je me hâtai, le feu aux joues et le cœur battant. Tout à coup, la pensée me vint que mon mari pourrait ne pas ajouter foi à mon récit et s’imaginer que mon attitude avait conduit Hervé à la scène regrettable que je lui apprenais.

La perspective d’être suspectée me troubla tellement que je voyais à peine mon chemin. Je n’avais pas songé à prendre un véhicule, tellement j’avais besoin d’air et de détente. La nuit venait et je me sentais tout abandonnée.

À vrai dire, je ne savais plus très bien où j’en étais. Une fièvre me montait au cerveau. Je subissais la réaction d’une secousse effroyable. Je traversais les rues comme une hallucinée, sans me soucier des automobiles dont les klaxons me cornaient aux oreilles.

J’envisageais l’accueil que me ferait mon mari. S’il allait me soupçonner ? Un froid mortel entrait dans mes veines à cette suggestion. Je n’avais pas de famille pour me défendre, et la preuve venait de m’être faite par cette attaque inqualifiable. Pourvue d’un père et d’une mère, j’aurais été préservée, et Hervé ne se serait pas permis de telles hardiesses à mon égard.

Mon passé était une roulotte d’acrobates avec lesquels j’avais rompu. Mon enfance n’était donc pas une garantie, et de nouveau l’obscurité de ma naissance me poignait. Il me semblait qu’un étau de fer me comprimait et que j’étais la proie d’une destinée hideuse.

Le bonheur de mon mariage disparaissait dans les