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l’ombre s’efface

teras de moi, et j’admirerai seul tes pas que l’on dit si savants.

Il chercha son phonographe dans un placard du salon. Pendant qu’il me tournait le dos, je voyais sa nuque que j’avais envie de serrer. Je me sentais criminelle. Heureusement, cette idée passa comme une flèche devant ma volonté tentée.

Je sentais en moi une révolte terrible. Ma pensée n’avait plus d’équilibre. Un vertige m’assaillait. Une petite lueur filtrait à travers ce brouillard : si ma liberté était au prix de quelques minutes de danse ?… Oh ! sortir de ce cauchemar où je me débattais, humiliée…

Hervé avait fini d’installer l’instrument.

— Vous êtes prête ?

— Pas encore. Il faut que je me recueille. Il y a longtemps que je n’ai pas dansé.

— Naturellement, ce n’est plus la peine, maintenant que Rodilat est enchaîné.

Je ne répondis pas et je me demandai si mon bourreau ne cachait pas une nouvelle fourberie sous sa promesse. Ah ! Clarisse m’avait prévenue. Je ne l’avais pas écoutée. Je me croyais de taille à vaincre ce garçon dépravé ! Que serait devenue Janine si Dieu lui avait conservé la vie ?

La douleur m’accablait. Je ne voulais pas obéir à ce personnage odieux qui me narguait. Il me semblait que mes pieds étaient de plomb. En mon cœur, j’appelais Jacques et je me repentais de ne pas lui avoir parlé de mon projet. Les remords, l’angoisse, l’épouvante, broyaient mon être et faisaient de mon corps une loque sans énergie.

Tout à coup, un air de valse retentit à mes oreilles. Je frémis. Le passé sauta à mon cerveau et me rendit à moi-même. Mes pieds eurent un élan que je retins tout de suite.

La voix d’Hervé me réveilla du rêve où je sombrais au milieu de mes succès enfuis.

— Vous pouvez danser.

Je ne répliquai pas à cette sommation. Un silence s’appesantit entre nous.

— Vous vous décidez ?

— Je serai libre ensuite ?

— Oui.