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l’ombre s’efface

du monde, j’avais une situation sociale importante, j’étais riche et considérée.

Cependant le ver rongeur de ma naissance obscure me vrillait. J’aurais voulu apporter à mon mari quelque reflet. Je l’aimais tellement qu’il m’était dur de savoir que je ne pouvais rien lui donner qui le flattât.

Quand je m’ouvrais de mon tourment à mon amie Henriette Tamandy, qui avait eu mes confidences, elle me répondait, comme au premier jour de notre revoir :

— Vous lui donnez votre beauté, votre jeunesse, à votre mari ; que pourrait-il désirer de plus ?

— Je ne suis qu’une pauvre danseuse.

— Avec quel talent ! Vous avez fait courir tout Paris autant par votre grâce que par votre conduite et votre art si nobles et si purs. Quel serait l’homme qui ne serait pas heureux de vous avoir conquise et qui demanderait autre chose ?

— Vos gentilles paroles ne me suffisent pas. Je reste honteuse de me savoir l’enfant de personne.

— Vous n’êtes qu’une petite orgueilleuse, me disait doucement cette amie charmante.

Que j’étais heureuse qu’elle m’eût reconnue sous mes travestis de danseuse ! Ah ! combien nous riions encore parfois de notre rencontre sur cette route de Seine-et-Oise où je m’en allais clopinant !

— La vie est faite de l’enchevêtrement de mille liens obscurs qui s’éclairent un beau jour. Quand nous vous avons prise dans notre voiture, mon mari et moi, nous ne nous doutions pas à quelle célèbre vedette nous avions affaire. Par discrétion nous ne vous avons demandé aucun détail sur votre person­nalité, mais cette discrétion même n’était-elle pas voulue par la Providence ?

— Oui, je le crois, parce qu’elle m’a conduite par des voies détournées à la situation que j’occupe en ce moment.

— Pauvre petite Christine ! Vous avez pâti, mais quelle revanche !

La bonne Henriette s’attendrissait sur mes mal­heurs passés. Âme loyale, elle admirait mon courage et s’extasiait sur mon bonheur qu’elle estimait mérité. Par moments, cependant, je trouvais ma félicité