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l’ombre s’efface

encore des semaines avant que cette fête ne sonnât.

Nous étions dans les premiers jours d’octobre et toutes les feuilles n’étaient pas tombées encore.

Mme Saint-Bart se leva pour prendre congé :

— Ma chère enfant, je vous laisse, enchantée de vous avoir revue. Je pense que nous deviendrons de bonnes amies, parce que je vous aime beaucoup. Ne comptez pas avec moi, vous me trouverez toujours vers 17 heures, le lundi et le samedi exceptés. Au revoir. Amitiés à Jacques.

Nous nous serrâmes la main, et elle disparut comme un nuage au souffle du vent.

Je ne sais pourquoi j’avais le besoin de détendre mes nerfs. Cette visite ne m’avait pas ennuyée, mais, ayant l’habitude d’agir, je ne prisais pas une longue immobilité. Toutes les paroles entendues et prononcées tourbillonnaient dans ma tête et demandaient à se perdre dans l’air. Je courus au cabinet de travail de mon mari. Je comptais inviter Jacques à m’accompagner, mais il était sorti. J’eus un regret, mais je projetai de m’en aller seule. Il fallait que mes membres se détendissent. J’aurais bien dansé un peu, mais je ne l’osais plus dans la maison. Je craignais le blâme des vieux domestiques, le sévère Antoine et la sage Clarisse. J’étais devenue une dame posée, avec mes vingt ans.

Je m’habillai pour sortir et je passai à l’office pour prévenir :

— Ma bonne Clarisse, je vais faire une course. Je ne serai pas longtemps. Monsieur n’est pas là, mais s’il rentrait avant moi, vous lui diriez que je suis allée jusqu’aux Galeries.

— Bien, madame.

Je partis, légère. Le soleil couchant envoyait ses flèches rouges, de-ci, de-là. Certaines vitres parais­saient abriter un incendie. L’air était vaporeux et frais. Il invitait à la marche.

Je pensais à tout ce que m’avait raconté Mme Saint-Bart, et particulièrement à cette femme de chambre des Sesse, morte si affreusement. Je me disais que sa maîtresse avait eu là deux sérieuses secousses, coup sur coup. Quels instants !

Mon esprit s’éloigna cependant de ces souvenirs macabres et je pensai à la danse. Cela m’aurait amusée