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l’ombre s’efface

et son mari étaient partis pour la province, où lui était préfet.

Je laissai Mme Saint-Bart à ses rêves, sans plus lui faire part de mes doutes. Plus je pensais à cette fête, plus je me persuadais qu’il valait mieux se priver d’un plaisir qui pouvait dégénérer en un coup de théâtre fâcheux. J’avais, Dieu merci ! assez dansé dans ma vie ! Puis aurais-je su me comporter avec assez d’effacement pour que mes pieds ne me trahissent pas malgré moi ? Je me voyais, soulevée par le rythme de la musique, lâchant mon cavalier et retombant dans mes pas favoris. J’imaginais la foule ravie devant mon mari consterné. Au réveil de ce délire, que retrouverais-je ? Sans doute mon amour serait-il perdu. Mon mari, muet, me soustrairait aux regards et me murerait dans notre maison. Tout mon cher bonheur aurait fui et je resterais humiliée.

Mme Saint-Bart me regardait. Elle apercevait sûre­ment sur mon front le reflet de mes triomphes futurs, sans se douter que j’ensevelissais mes triomphes passés.

— Petite amie, vous rêvez de vos succès à venir, vous savez que vous serez la reine de mon bal. Je vous vois déjà essayant une danse d’autrefois avec Hervé. Quel couple vous ferez !

Je tressaillis. Danser avec Hervé n’avait pas effleuré mon esprit. Tout de suite je saisis l’avantage que je pouvais avoir de cette circonstance. Un soir de bal, toute coquetterie me semblait permise, parce que le côté factice de la vie prime la réalité.

Je connaissais le prestige de la musique, l’enivrement qui se répand d’une foule excitée. Je me sentais capable de tenir Hervé à ma merci, de le rendre fou de moi, pour que ses menaces ne soient plus que des bulles de savon. La vanité me grisait.

Mes traits reflétaient une lumière glorieuse, j’en étais convaincue, car ma visiteuse, s’en apercevant, me dit en riant :

— Je pressens que Jacques ne sera pas vainqueur dans ses hésitations pour vous amener à mon bal, je vous vois tout acquise à mon projet, et si votre cher mari y oppose un peu de résistance, je serai là pour vous prêter main-forte.

Je ne répondis rien. D’ailleurs, il devait se passer