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l’ombre s’efface

plus me retrouver en présence de ce garçon que je jugeais maintenant plus hurluberlu que méchant. Cependant, malgré ces bonnes résolutions de ne plus attacher d’importance à ce qu’il disait, je restais anxieuse.

L’accueil si affectueux de Mme de Sesse me transportait de joie. Ce n’était pas qu’elle m’eût accablée de protestations d’amitié, mais il se glissait entre nous un fluide sympathique. Sans que nous parlions, une communication d’intimité s’établissait entre nos cœurs.

Je la voyais bien accablée par la perte de sa petite fille, mais je dois avouer que ce n’était pas cette malheureuse circonstance seule qui m’influençait. Je la plaignais, certes, mais il y avait autre chose qui me poussait vers elle. Résumait-elle pour moi l’idéal de la femme ? Je me le persuadais. On se forge un idéal, on le cherche, et si on le découvre, on s’y accroche. Tout me plaisait dans Mme de Sesse : son visage calme, la grâce de ses gestes et sa parole douce.

Jacques me questionna durant la soirée et je lui racontai mes impressions. Il s’y intéressa et parut content de me voir apprécier Mme de Sesse.

Il me dit en riant :

— N’exagérez pas votre admiration, sans quoi vous me verriez jaloux si elle occupait trop vos pensées.

Nous ne pûmes nous empêcher de rire, puis j’avouai mon étonnement sur la façon d’être de M. de Sesse.

— Ce qui me paraît bizarre dans ce ménage, c’est la froideur avec laquelle cette charmante femme accueille les attentions de son mari. Il semble que rien de lui ne l’émeuve. Et savez-vous ce que j’imagine ?

— Non.

— Que M. de Sesse a dû commettre quelque infidélité et qu’elle ne peut lui pardonner.

Mon mari sourit en me répondant :

— Votre hypothèse est vraisemblable, mais je la crois fausse. M. de Sesse est la perfection des maris, du moins a-t-il cette réputation. D’autre part, je suis persuadé que sa femme est trop intelligente pour le punir ainsi.