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l’ombre s’efface

et qu’il fallait plus que jamais que je ne le heurtasse pas.

J’étais persuadée que je pouvais avoir un certain ascendant sur lui. Cette force devait être utilisée, afin de préserver mon cher mari envers qui j’avais une si grosse dette de gratitude. Je croyais avoir conquis la sécurité, mais elle s’envolait soudain et l’inquiétude devenait la note dominante.

M. de Sesse parlait de Jacques qu’il appréciait tant. Il déplorait cette douleur qui avait transformé cette nature si ouverte. Il s’appesantit soudain sur le remords en général qui changeait tellement les carac­tères, que l’on pouvait se figurer qu’il en vivait un, cruel, qui le crucifiait.

Ce ménage me paraissait un mystère. Certainement, des ombres se posaient devant leur apparence sereine. Je devinais qu’une plaie secrète les rongeait. Il y avait bien cette enfant morte au berceau, mais j’envisageais autre chose.

Alors que mon imagination se perdait dans les hypothèses, la porte s’ouvrit devant Hervé de Gritte.

Il fut accueilli avec affabilité.

— Je ne suis pas de trop ? railla-t-il en nous regardant avec insistance.

— Jamais ! lui fut-il répondu par le couple.

— Vous n’avez pas l’air de vous amuser beaucoup ? Dois-je en conclure que vous m’attendiez ?

— Faut-il donc toujours rire pour s’amuser ? riposta Mme de Sesse.

— Non, mais on peut avoir des visages gais ! De quoi parliez-vous, afin que j’y place un peu d’hu­mour ?

— Quelle prétention ! répliqua Mme de Sesse. Eh bien ! je vous prends au mot : racontez-nous une histoire intéressante.

— Mon intervention a déjà produit son effet. Mme Rodilat arbore un aspect moins réfrigérant.

Il était sûr que la présence d’Hervé rendait l’atmosphère plus dégagée. Un sentiment aérien, harmonieux, s’insinuait dans le salon, et je rendais grâces à cette beauté qui agissait là comme un philtre, chassant les idées moroses.

Malheureusement, cette ambiance ensoleillée se ternit assez vite.