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l’ombre s’efface

Je me rapprochai des dames qui discutaient avec Jacques sur des questions de peinture, sujet sur lequel j’étais nulle, comme sur bien d’autres.

Mme Saint-Bart me dit :

— Mon neveu vous a sans doute accablée de para­doxes ?

Je ne savais pas trop ce qu’étaient les paradoxes, mais je pressentis qu’il ne s’agissait pas d’opinions courantes et je répliquai :

M. Hervé a des manières de voir qui ne me semblent pas celles de tout le monde.

À quoi Mme Saint-Bart riposta :

— À la bonne heure ! Voilà une bonne définition pour classer Hervé qui coupe les fils en quatre.

Ce n’était pas mon avis. Je trouvais, au contraire, qu’Hervé allait bien droit au but. On ne pouvait pas être plus direct.

Jacques me regardait d’un air content. Je craignais toujours de lui déplaire par mes paroles maladroites ou mon air gauche. C’était un sentiment bizarre chez moi, de me sentir embarrassée devant cinq ou six personnes, alors que sous les yeux d’une foule je me sentais tout à l’aise. L’accoutumance vous forge une nature.

Mme de Sesse, avec son attitude si sérieuse, me con­templait. Son visage trahissait beaucoup de choses que je ne pouvais deviner. J’avais une propension à croire qu’elle avait souffert si je considérais le pli d’amertume qui se cachait aux commissures de ses lèvres.

Alors que je répondais à son regard par un sourire, elle se rapprocha de moi et me dit :

— Je serais très heureuse de faire plus ample connaissance avec vous.

— J’en serai charmée, répliquai-je avec une into­nation joyeuse.

Cette dame me plaisait. Elle possédait un grand attrait. Était-ce cette mélancolie qui attirait ou cette bouche mystérieuse qui paraissait retenir tant de choses ? Il semblait qu’elle n’eût besoin de personne au monde, tellement son ensemble exprimait le déta­chement. Son invitation me surprit, mais elle me comblait de joie.