Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
l’ombre s’efface

que vous ne vous révéliez un jour de façon inat­tendue !

— C’est cela ; prenons patience ! lança Hervé.

Ah ! comme ces aimables personnes m’embarras­saient avec leur questionnaire ! Il me frappait d’autant plus que je ne pouvais pas dire à cette table élégante que j’étais une enfant trouvée et que mon métier était d’être danseuse. J’étais étonnée de savoir que ces gens ne me connaissaient pas. Seule, je l’aurais avoué, mais étant la femme de Jacques Rodilat, je ne l’osais pas. Il me semblait que c’était à lui de le révéler. J’aurais été plus libre.

Le dîner prit fin et nous regagnâmes le salon, moi au bras de M. de Sesse.

Je m’assis près de sa femme vers qui allait ma sympathie croissante. Sa voix me dit avec une dou­ceur qui me charma :

— Vous n’avez pas pris grand plaisir à ce dîner, chère petite madame. Les jeunes, ordinairement, n’aiment pas ces repas qu’ils jugent ennuyeux.

— Oh ! madame, ne le croyez pas ! D’ailleurs tout me plaît. Je suis heureuse de connaître les amis de mon mari.

— Vous êtes une charmante jeune femme, et j’en suis contente pour Jacques, si bon et si malheureux avec le souvenir de sa sœur, ajouta-t-elle plus bas.

— Oui, et cela me peine beaucoup, mais il a revu M. de Gritte avec beaucoup de joie et d’émotion.

— Hervé me paraît content aussi.

— Il a tant de regret, pourtant, et ce revoir a dû être une épreuve pour lui.

— Oui, car c’est une nature violente qui se domine mal.

— Il n’a pas de mère qui lui a enseigné la patience, dis-je rêveusement.

Hervé eut l’intuition que l’on parlait de lui, car il se rapprocha de nous.

— Qui condamnez-vous, mesdames ?

Mme de Sesse rit et répliqua :

— On parlait de vous, Hervé, et je vous présentais à Mme Rodilat comme un jeune homme qui n’obéit qu’à son premier mouvement.

— Chez moi, il est toujours le meilleur.

— Vous vous vantez !