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l’ombre s’efface

Jacques resta quelques secondes silencieux, puis il reprit ses questions :

— Il a donc fait allusion à notre malheur, mais je suis persuadé que vous l’avez adouci.

Je voyais clairement que Jacques ne voulait pas se souvenir de l’apostrophe de son ami. Très satisfait de la tournure que prenait ce retour, il voulait rester sur sa bonne impression.

— J’ai passé un moment bien agréable dans la compagnie de mon vieil ami, et ce ne sera pas sans une extrême joie que je travaillerai de nouveau avec lui.

À peine si, maintenant, j’entendais Jacques. Ma mémoire me renvoyait les phases de mon entretien avec Hervé de Gritte. J’avais hâte d’être seule pour bien rétablir les faits et me convaincre qu’il n’y avait eu aucune provocation de ma part.

Enfin je fus dans ma chambre et laissai Jacques dans son cabinet de travail en compagnie des notes qu’il avait rapportées. À mon tour, j’avais à remettre de l’ordre dans mes idées, et ce fut assez troublée que je m’enfonçai dans une bergère pour réfléchir en paix.

À mon grand étonnement, je ne ressentais plus aucune terreur à l’égard d’Hervé. Maintenant que je n’étais plus en face de lui, sa menace me parut un enfantillage. Je ne me remémorais plus que son visage admirable, son sourire séduisant et ses yeux fascinateurs.

Je compris, ce soir-là, ce que la beauté pouvait avoir de captivant. J’avoue que je me plaisais à évoquer ces beaux traits, empreints de tant de grâce. Ses paroles pleines de fatuité ne me causaient plus d’effroi. J’oubliais qu’il m’avait serrée dans ses bras et je riais presque en pensant qu’il m’avait déclaré son amour.

Je le considérais comme un impulsif que la douleur avait désaxé, et soudain je le plaignis extrêmement. J’avais toujours été si seule dans ma vie que cela me paraissait bon d’avoir un frère. J’étais assez sotte pour me persuader que réellement mon affection ferait du bien à ce jeune homme. Romanesque comme je l’étais, je ne voyais qu’un beau rôle à jouer.

Ah ! la danseuse reparaissait avec son mirage, ses