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l’ombre s’efface

— Vous avez une âme compatissante et vous m’ai­derez à supporter la vie.

Je vis dans ces mots une supplication pour son sort. Je m’étonnais un peu qu’au bout de quatre ans ce deuil restât avec une telle acuité. Son père devait cependant connaître son fils, et pourquoi insinuait-il que cette attitude était une feinte ?

J’estimais qu’il se trompait et que c’était uniquement pour dissiper l’inquiétude de Jacques qu’il avait avancé ces paroles.

Dans mon inexpérience, j’étais persuadée de voir devant moi un être désespéré. Une affection de sœur se levait en mon âme pour ce jeune homme si beau et si triste. Je dois avouer que ma surprise le servait. J’avais cru rencontrer un sauvage vindicatif, et je me trouvais en face d’un cœur ulcéré dont personne, me disait-il, ne soupçonnait la gravité.

Je murmurai :

— Pauvre enfant !…

J’étais plus jeune que lui, mais ce terme me vint spontanément aux lèvres.

Il reprit une de mes mains qu’il baisa. J’avoue que cette marque de sympathie me gêna plus qu’elle ne m’agréa.

— Vous êtes la première personne qui me prenez en pitié, me répondit-il avec une voix empreinte de tendresse.

Ses yeux lançaient des flammes. Ils devenaient fon­cés et m’effrayaient quelque peu.

Tout à coup, Hervé m’enlaça et me dit, proche de mon visage :

— Oh ! que tu me plais ! Toi seule pourras me guérir ! Dis-moi que tu m’aimeras !…

J’étais folle de peur. Je le repoussais, mais il m’em­prisonnait davantage. Je n’avais qu’une terreur, c’était de voir surgir Jacques qui me surprendrait dans ce désordre !

Enfin je parvins à me dégager, bien qu’Hervé me tînt encore le poignet, pour me souffler à l’oreille :

— Je veux me venger de Jacques ! Je suis fou de votre beauté. Il a tué ma fiancée : je lui prendrai sa femme !

Quelle horreur ! Le bel archange n’était plus qu’un démon !