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l’ombre s’efface

Dressé devant moi, il blêmit et clama :

— Vous ! la femme de Rodilat, ce tueur qui a assas­siné sa sœur !

Son visage n’était plus qu’un masque haineux. Il serrait les poings comme s’il voulait frapper. J’eus peur et je me dirigeai vers la porte, mais il me barra la route et me demanda, son visage près du mien :

— Vous l’aimez ?

— Certes, je l’aime ! lui lançai-je.

— Il ne le mérite pas ! grinça-t-il.

— Vous ne connaissez pas son cœur.

Il ricana en répondant :

— Ah ! son cœur ! Quelle aberration d’y croire !

— Taisez-vous ! Je vous interdis de parler ainsi de Jacques.

— Savez-vous que l’indignation vous va bien ?

J’avais déjà entendu cette phrase dans le cercle des jeunes gens au milieu duquel Louis Jourel m’avait conduite.

Il reprit :

— Ah ! vous êtes la femme de ce meurtrier ! Vous savez qu’il a brisé ma vie, saccagé mes jours ? Je suis malade de désespoir, seul dans ma tristesse, et lui, le coupable, est heureux !

Après cette plainte Hervé s’écroula dans un fau­teuil avec des sanglots.

Entre ses gémissements, il murmurait :

— Vous ne savez pas ce que je souffre ! C’est un poignard enfoncé dans une blessure qui s’élargit de jour en jour.

Qui croire ? Le père ou le fils ?

Ce désespoir me paraissait sincère. Sans doute mé­connaissait-on la profondeur de cette douleur.

Je me rapprochai du jeune homme avec des paroles de pitié. Il les écouta et se calma ; puis, me prenant les mains, il murmura :

— Merci… Ah ! que vous êtes bonne !

Il redevenait beau. La douceur, de nouveau, rendait à ses traits leur expression suave. Je me sentis moi-même tout apaisée et je ne voyais plus en lui qu’un frère malheureux, en toute sincérité.

Forte de mon titre de dame, je posai la main sur son bras en un geste amical, en murmurant :

— Vous serez heureux un jour.